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LES « TRAVAILLEURS DETACHES », NOS FRERES DE COMBAT.
L’attitude -très exceptionnelle- de fermeté finalement adoptée ( le 20 juillet dernier ) par la Commission européenne vis-à-vis de 10 Etats membres d’Europe centrale et orientale au sujet de la directive « travailleurs détachés » mérite qu’on s’y arrête. Rappelons les faits. A l’origine, il y a un véritable scandale , que nous ne cessons de combattre, et qui est au coeur de l' »Europe libérale » : l’organisation de la mise en concurrence des peuples pour tirer les conquêtes sociales vers le bas tout en dressant les travailleurs européens les uns contre les autres afin de neutraliser leurs luttes. Ainsi, au nom de la « libre prestation des services » au sein du marché unique , les traités européens autorisent-ils tout employeur du secteur des services établi dans un Etat membre à « détacher temporairement » ( jusqu’à deux ans ! ) ses travailleurs dans un autre pays membre tout en continuant d’appliquer à ces salariés un certain nombre de normes de travail de leur pays d’origine . Les garanties accordées à ces centaines de milliers de travailleurs dans leur Etat d’accueil par la fameuse « Directive Détachement » de 1996 sont , à ce jour, très limitées. Même un salaire minimum qui ne serait pas de portée nationale ( par exemple un salaire de base fixé par une convention collective ) ne pourrait pas être imposé à leur employeur. La Cour de Justice de l’Union européenne l’affirmait catégoriquement en 2008 : il est strictement interdit à l’Etat qui les accueille d’imposer « aux prestataires de services établis dans un autre Etat membre, où les taux de salaire minimal sont inférieurs, une charge économique supplémentaire qui est susceptible de gêner ou rendre moins attrayante (sic) l’exécution de leurs prestations dans l’Etat d’accueil » ! (1) Par ailleurs, les cotisations sociales patronales restent celles du pays d’origine.
Or, après des années d’intenses luttes syndicales et politiques pour une rupture avec cette logique diabolique, la Commission européenne vient enfin, en mars dernier, de préparer un projet de révision de la Directive de 1996. Celui-ci -s’il ne touche pas au privilège patronal en matière de cotisation sociale- annonce néanmoins un changement réel en affirmant le principe « à travail égal salaire égal » entre travailleurs nationaux et « détachés », y compris en ce qui concerne d’éventuelles primes ou un 13ème mois. En outre, l’Etat d’accueil pourrait désormais imposer aux sous-traitants d’appliquer le même salaire que le donneur d’ordre.
Ce changement a aussitôt soulevé un tollé parmi le patronat des pays d’Europe centrale et orientale, dont les gouvernements ultra-libéraux ont organisé un tir de barrage contre le projet de Bruxelles. En vain, jusqu’ici. Il appartient aux forces de progrès de se mobiliser pour pousser l’avantage, non pas contre les « travailleurs détachés » , mais pour une Europe de l’égalité des droits et de la solidarité. A cet égard, comment ne pas être surpris et attristé d’apprendre qu’un orfèvre de la parole comme Jean-Luc Mélenchon ait pu choisir de parler à la tribune du Parlement européen à ce propos de « travailleur détaché qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place » ! (2) Nous sommes de ceux pour qui les valeurs de gauche ont encore un sens. Y compris sur les enjeux européens .
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(1) Cour de Justice de l’Union Européenne ( Arrêt Rüffert : avril 2008 )
(2) « Je crois que l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place ». ( Le 5 juillet 2016.)
LE CONTRE-EXEMPLE BRITANNIQUE
Les citoyens britanniques ont voté. Il faut naturellement respecter leur décision souveraine. D’ailleurs, nous toutes et tous qui , à gauche, dénonçons depuis des lustres le mépris dans lequel les dirigeants européens tiennent l’expression de la volonté de changement des peuples, nous ne pouvons que partager la volonté d’en finir avec ce système . Or, aux yeux de millions de laissés-pour-compte de l’ultra libéralisme en Grande-Bretagne, le Brexit était assimilé à l’espoir que soit mis fin à la brutale politique d’austérité qu’ils subissent quelque soit le gouvernement en place. Malheureusement, tout indique que la voie choisie pour exprimer cette colère et cette frustration risque fort d’enfoncer encore plus le peuple britannique dans l’impasse dont il souhaitait sortir : les hérauts du Brexit ont trompé les travailleurs et les familles populaires . C’est pourquoi j’affirmerai, pour ma part, sans détour : à mes yeux, le type de campagne qui vient d’avoir lieu outre-Manche est un contre-exemple. Voici pourquoi .
Je continue de tenir pour un modèle inégalé de démocratie citoyenne la campagne du « NON de gauche » au projet de traité constitutionnel en 2005. Or, si l’on compare cette campagne à celle des pro-Brexit , on peut parler de deux expériences politiques aux antipodes l’une de l’autre. Trois illustrations.
D’abord, en France, le « leadership » du mouvement était incontestablement à gauche, au point que le FN y était sinon inexistant du moins inaudible. En tout cas marginal. En Grande-Bretagne, ce sont les populistes d’extrême droite de l’UKIP qui ont fourni les slogans; l’ultra-libéral sans scrupule Boris Johnson qui a animé le spectacle; et la presse de caniveau qui s’est chargée de distiller leurs mensonges auprès de leurs millions de lecteurs. Quant à Cameron, son soutien au « in »( maintien dans l’UE ) a dû passablement nourrir le « out » ( la sortie de l’UE ) , tant sa politique est un repoussoir pour les familles populaires. Cette cacophonie démagogique a réussi à couvrir la voix du seul haut responsable authentiquement de gauche dans cette campagne, Jérémy Corbyn, dont le message -partagé par les principaux syndicats- était : « rester dans l’Union européenne ET changer l’Europe » en coopérant avec les progressistes des autres pays membres.
Il y a une deuxième différence de taille avec notre campagne de 2005 : nous avions fait appel à l’intelligence et à la réflexion des citoyens. En Grande-Bretagne, les partisans du Brexit ont caché leurs choix économiques ultra libéraux, spéculé sur la peur des réfugiés et multiplié les mensonges éhontés, comme celui des fameux « 350 millions de Livres » prétendument versées chaque semaine par le Royaume-Uni à l’UE et qui iraient en cas de Brexit à la Sécurité sociale britannique -fausse promesse démentie dès le lendemain du référendum !
Enfin, tandis qu’en France en 2005, nous insistions sur l’esprit de solidarité avec les autres peuples -invitant de nombreux progressistes européens à nos meetings- les figures dominantes du camp du Brexit ont flatté les tendances étroites, nationalistes et même franchement racistes. La palme revient à l’ex-maire de Londres , …potentiel chef du futur gouvernement, qui n’a pas hésité à traiter Barak Obama , coupable d’avoir critiqué le Brexit, de « demi-Kényan »! Pour toutes ces raisons, décidément oui : « on vaut mieux que ça ! »
JOUER SUR LA PEUR POUR RELANCER L’EUROPE ?
J’ai lu et relu la phrase pour m’assurer d’avoir bien lu, tant la formule est sidérante : « La construction européenne a pu être initiée parce que les Européens avaient peur pour leur sécurité(…) C’est à nouveau sur l’air de « l’hymne à la peur » qu’elle doit aujourd’hui être relancée ». Les auteurs de cette assertion choquante ne sont pas des commentateurs fantaisistes , mais des voix internationalement écoutées -qu’on les approuve ou qu’on les critique- sur les enjeux européens. Ils s’appellent…Jacques Delors ; Pascal Lamy; Antonio Vitorino (ex-Commissaire européen portugais); Enrico Letta (ex-Président du Conseil italien); Yves Bertoncini ( Directeur de l’Institut Jacques Delors) ! (1)
Faut-il que les têtes pensantes de l’actuelle construction européenne se sentent démunies d’arguments susceptibles de regagner la confiance des citoyens pour en être réduites à un stratagème aussi peu reluisant ! Tremblez, paniquez, chers compatriotes, face à l’accumulation de périls qui vous entourent ! Pensez donc au contexte dans lequel vous vivez : il est « marqué par les craintes du changement climatique; de la finance folle; d’un afflux migratoire anarchique (sic); mais aussi et surtout par les menaces contre la sécurité des personnes et des biens ». Brrr! Heureusement pour les millions de femmes et d’hommes ainsi pris dans la nasse, la « sécurité collective » qui leur manque sera au coeur de « cette relance de la construction européenne ». D’ailleurs, cela tombe bien : « l’agenda européen des prochaines semaines offre de nombreuses opportunités » de commencer à mettre en oeuvre la relance en question : l’adoption d’ une « nouvelle stratégie européenne de sécurité »; « la révision de la stratégie de l’OTAN et « le projet d’un « Livre blanc » sur la défense ». Et comme ces éminentes personnalités savent pertinemment que le « sursaut militaire » qu’elles appellent de leur voeux ne correspond pas spontanément aux priorités des gens en matière de changement des politiques européennes, j’imagine qu’elles et leurs semblables envisagent de faire ce qu’il faut pour attiser les « peurs » autant que de besoin…
Est-ce ainsi qu’il faut comprendre le ton volontairement alarmiste d’un autre document , lui tout droit sorti du laboratoire d’idées de la Commission européenne et opportunément intitulé « En défense de l’Europe » ? (2) Sa première phrase fait froid dans le dos : « Si la menace d’une guerre en Europe était inconcevable jusqu’il y a peu, il n’est pas difficile d’en imaginer une aujourd’hui » ! Tout cela pour justifier une « intégration de défense européenne plus poussée », le « développement des capacités militaires », la « surveillance maritime et du contrôle des frontières », mais aussi le renforcement de « la contribution européenne au sein de l’OTAN ». Bref : que du bonheur ! Il serait temps que l’on ouvre un grand débat public sur la sécurité collective en Europe et dans le monde. Quand tirerons-nous enfin un bilan lucide du fiasco sécuritaire auquel nous ont conduits les aventures militaires aux quatre coins de la planète, tout comme l’idéologie de guerre froide sur le continent européen ? Relancer la construction européenne : oui ! Mais par le sursaut social et démocratique , pas le « sursaut militaire »! Par la résolution politique des problèmes, pas par la militarisation des esprits ! Par une nouvelle espérance, pas par la peur !
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(1) Tribune publiée le 17/6/2016 par l’Institut Jacques Delors.
(2) « Notes stratégiques de l’EPSC »




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