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Entre coup d’Etat militaire et contre-coup d’Etat civil, la Turquie s’enfonce dans une terrible impasse. Pour autant, l’avenir de ce grand pays n’est pas écrit. En témoignent les manifestations de masse des forces démocratiques à Istanbul, fin juillet, s’opposant et au putsch et aux purges. L’une des inconnues est la place et le rôle que réussira à conserver ou à reconquérir le HDP, ce grand parti progressiste qui défend notamment -mais pas exclusivement- la cause kurde. Le 15 juillet dernier, alors que circulait encore la rumeur que les militaires putschistes avaient pris le pouvoir en Turquie , le président du HDP, Selahattin Demirtas, se voyait « probablement arrêté au petit matin (…) Nous sommes heureux que le putsch n’ait pas réussi ! » a-t-il souligné. D’abord, parce que l’un des principaux chefs des conjurés n’était autre que le boucher de Cizre, la ville kurde détruite dans le sang au printemps dernier par l’armée sous le commandement de cet ex-officier d’élite du régime ! Et plus généralement parce que le HDP rejette la « mentalité putschiste » et toutes les graves violations des libertés qu’elle recèle. C’est donc tout naturellement que le HDP s’était immédiatement solidarisé avec les autorités du pays contre la junte militaire -et ce en dépit du très lourd contentieux qui oppose depuis plus d’un an ce parti à Erdogan- tout en rejetant la purge phénoménale en cours et la sombre dictature qu’elle laisse présager.
Le HDP n’est heureusement pas la seule organisation politique turque à adopter cette attitude -le principal parti d’opposition, le CHP, social-démocrate, en particulier, est également engagé dans ce combat- mais le parti de Demirtas est le seul à être jusqu’ici exclu des initiatives organisées par le gouvernement au nom de l’ « unité nationale » depuis l’échec du coup d’Etat. Marginaliser coûte que coûte et par tous les moyens cette organisation est l’objectif stratégique d’Erdogan depuis ce jour historique de juin 2015 où, pour la première fois depuis son accession au pouvoir en 2002, celui-ci a perdu , sinon l’élection, du moins son pari électoral majeur : remporter une majorité suffisante pour changer la Constitution et conquérir les pleins pouvoirs, à la manière d’un sultan néo-ottoman. Dépassant la barre fatidique des 10% (à franchir pour accéder au Parlement), le HDP avait fait échec à ce rêve aussi extravagant que dangereux en se hissant , malgré tous les obstacles dressés sur son chemin, au rang de troisième force politique du pays. Erdogan ne lui a jamais pardonné ce crime de lèse majesté. D’autant moins que ce parti et son jeune et brillant leader avaient su incarner une ambition démocratique inédite dans ce pays. Loin de limiter son rôle à la défense de la cause kurde, ils ont « assuré une représentation aux citoyens arméniens, yézidis, arabes et assyriens, aux travailleurs, aux universitaires, à la jeunesse et aux femmes, aux alévis et aux sunnites, aux Turcs et aux Kurdes » (1) provoquant cette interjection d’Erdogan, très éclairante sur le choc des deux mentalités : « Qu’est-ce que la question des femmes a à voir avec le processus de paix kurde ? » Voilà pourquoi , dans le sinistre imbroglio actuel en Turquie, le HDP me semble être la boussole démocratique du pays. Il mérite à ce titre toute notre solidarité.
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(1) S. Demirtas -Monde Diplomatique ( juillet 2016 )
11 août 2016 at 8:07
« Merci ! Faites une réunion comme celle-là chaque mois ! » lança un invité africain à la fin de la « Conférence mondiale pour la paix et le progrès » organisé par le Parti communiste français le 1er juin dernier sous la coupole d’Oscar Niemeyer. A en juger par la réaction spontanée de tous ceux qui ont entendu ce cri du coeur en quittant la salle , le sentiment était largement partagé. C’est peu dire que nous-mêmes, comme les progressistes des cinq continents en général, nous avons tous un besoin vital de telles bouffées d’oxygène dans le moment difficile que traverse notre combat. En réussissant à faire se rencontrer aujourd’hui des acteurs au profil aussi divers et pourtant aux objectifs aussi convergents, ces 10 heures dédiées à la solidarité et à la paix constituent à mes yeux un acte politique exemplaire . Pour en mesurer l’intérêt, voici quelques brèves pépites de la mine d’expériences, de sensibilités et d’espoirs que nous ont offertes les 80 invités d’un jour.
« Le processus de paix (1) a transformé la société irlandaise. La réconciliation doit devenir la nouvelle dynamique, en prenant en compte l’héritage de souffrances de notre peuple » a déclaré l’éminent dirigeant du Sinn Fein, Pat Doherthy, précisant au passage sa position face au « Brexit » : « il faut changer l’Europe, pas en sortir ! » Retenu en Turquie, c’est par vidéo que Sélahattin Demirtas, le courageux leader progressiste du HDP, devenu la bête noire du tyran Erdogan, a exhorté les forces de paix à se rassembler : « être aussi unis que les tenants de la guerre est un défi primordial ! » nous a-t-il lancé. Côte à côte, la représentante du Parti du peuple palestinien et le Secrétaire général du Parti communiste israélien ont placé leur « confiance dans la solidarité internationale » (PPP) car, « sans pression internationale, le gouvernement Nétanyahou n’acceptera aucune solution de paix » (PCI). Militant de longue date de la cause des droits de l’homme en Syrie, Haytam Manna a fustigé le choix de la violence, tant de la part du régime de Damas que de celle de la Turquie, des pays du Golfe et de l’Iran. Il regretta que « la France (se soit) exclue d’elle-même » de tout règlement politique du conflit lorsque Laurent Fabius a déclaré que « les gens d’Al Nosra ( Al Qaeda ! ) font du bon boulot » sur le terrain ! Le même rejet de l’illusion des « solutions » militaires aux conflits fut exprimé par Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali et figure progressiste internationalement reconnue, pour qui « la crise au Mali est la conséquence de l’agression contre la Libye ». Elle attire l’attention sur la contradiction des dirigeants européens qui disent à Verdun : « Plus jamais ça ! », mais font la guerre en Afrique, tout en rejetant les migrants qui meurent par milliers en Méditerranée. »
Des convergences prometteuses se sont également faites entendre parmi les invités français : depuis Françoise Dumont, la Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, prônant « la solidarité contre la pratique des boucs-émissaires » jusqu’à Claire Fehrenbach, la Directrice générale d’OXFAM-France, mettant en cause « le capitalisme sauvage » responsable du « fossé qui se creuse » entre riches et pauvres, en passant par Paul Quilès, ancien ministre de La Défense devenu un militant acharné et convaincant du désarmement nucléaire , ou encore Nicolas Hulot, Président de la Fondation pour l’homme et la nature, appelant à « redonner du sens au progrès ».
Laissons néanmoins le mot de la fin à la porte-parole du Maire d’Hiroshima appelant à renforcer « le réseau des Maires pour la Paix » déjà riche de 7000 villes du monde. Au total, une belle illustration du nécessaire « travail entre courants progressistes de plus en plus divers » auquel appela Pierre Laurent car « le monde solidaire est notre combat à tous ».
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(1) Accord de 1998 entre les Républicains et les « Unionistes » d’Irlande du Nord ainsi que la Grande-Bretagne et la République d’Irlande pour une solution politique du conflit.
9 juin 2016 at 6:26
J’étais plongé dans le dernier ouvrage de Bertrand Badie -« Nous ne sommes plus seuls au monde »- lorsque j’appris que Bruxelles était à son tour frappée par un monstrueux carnage. Le choc et l’effroi provoqués par ces images de mort et de désolation dans cette ville si proche donnèrent après coup à certains passages du livre de cet éminent expert progressiste des relations internationales un relief particulier (1).
C’est naturellement le cas du chapitre intitulé «
Après le 13 novembre » . L’auteur y développe ce qu’il appelle « la double responsabilité » de la société française après cette tragédie. La première coule de source et a trait au comportement au quotidien : « Ne pas céder à la peur, aux stéréotypes, à la haine, à la simplification ». L’expérience montre qu’il est loin d’être superflu de rappeler ces principes de base. La seconde « responsabilité » évoquée est bien plus exigeante : elle vise à créer les conditions d’une « nouvelle politique étrangère de la France ». Pourquoi ? Badie juge que la politique française , depuis une bonne dizaine d’années au moins, est atteinte de « myopie » et de « conservatisme ». Il est grand temps, estime-t-il ( avec raison ), de « commencer à construire l’altérité ( la reconnaissance de l’autre dans sa différence ), ( de )vivre avec des flux de populations, d’idées, de croyances qui ne nous sont pas familières, ( de ) tenir compte de l’apport de l’autre, ( de ) savoir même en faire une part de notre héritage commun ». Et de plaider pour que soit stimulée la connaissance et favorisée la compréhension des autres cultures : « La seule façon d’affronter la mondialisation et d’abaisser le seuil de violence consiste précisément à créer du lien social à l’échelle du monde ». Dès lors, une réponse militaire aux attentats est inadaptée car « elle entretiendra des situations de violence croissante et de plus en plus intraitables ». Une thèse qui ne vaudra sans doute à Bertrand Badie ni les louanges de l’Elysée ni la mansuétude d’un Premier Ministre pour qui « expliquer, c’est excuser »… Gageons que l’indulgence des actuels -tout comme des précédents !- dirigeants du pays n’est pas, en l’occurrence, le but recherché.
Pour autant, ce livre n’a rien d’un pamphlet polémique. C’est d’abord une mine de références historiques destinées à rendre intelligibles la marche du monde , ses contradictions et ses ruptures à l’heure de la mondialisation. C’est ensuite, tel un fil rouge, un suivi de l’émergence des « exclus du système international », du Mouvement des Non-Alignés aux actuels BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud…) . C’est également une illustration magistrale de la place sans précédent prise par les citoyens, les acteurs non étatiques dans la vie internationale. La révolution de l’information et de la communication y a non seulement favorisé l’irruption des « sociétés civiles » mais développé de façon exponentielle les relations multiformes entre elles, bousculant par là-même « l’ordre international ». Enfin, tout ce livre est un vibrant plaidoyer en faveur d’une « ouverture au monde », avec un focus sur « les insécurités humaines » qui affectent les pays du sud.
Sans nécessairement partager toutes les positions qui y sont développées, on y trouve des professions de foi qui ne dépareraient pas notre journal . Qu’on en juge : »Si on ne réinstalle pas l’humain au centre de tout, au-dessus du profit, de la compétitivité , de la production, d’un identitarisme incontrôlé, de la promotion de telle idéologie ou de tel ou tel modèle, si on ne remet pas l’homme au centre de la vie, on risque d’être rongé par ces sursauts conservateurs , ignorants, obscurantistes, routiniers et conformistes « . Stimulant !
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(1) Bertand Badie : « Nous ne sommes plus seuls au monde » ( Édition La Découverte – 2016 )
31 mars 2016 at 8:59
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