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INTERVIEW À L’HUMANITÉ (17/2/2023)

1) Dans le processus de livraison d’armes à l’Ukraine, les protagonistes ne semblent-ils pas jouer un jeu d’équilibristes à la recherche d’une ligne rouge ?

Oui, nous sommes entrés, en matière de livraisons d’armements, dans une phase de surenchère que je juge extrêmement préoccupante et dangereuse. Préoccupante, car elle s’inscrit dans la perspective d’une guerre longue, d’une escalade de plus en plus meurtrière. Et dangereuse dans la mesure où cette fameuse « ligne rouge » est une notion purement subjective : elle risque fort d’apparaître quand Poutine estimera qu’il ne peut plus rivaliser avec l’ OTAN avec des armes conventionnelles. C’est un pari terriblement hasardeux. Il faut arrêter de miser sur « un gagnant » par les armes dans cette guerre. Si gagnant il y avait, sur le champ de bataille, ce serait une victoire à la Pyrrhus , autrement dit un désastre général ! Cette stratégie, à mes yeux irresponsable, a été formalisée le 26 avril dernier par le Secrétaire américain a la défense sur la base militaire américaine de Ramstein devant les représentants des 40 pays « alliés », quand celui-ci a déclaré : « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements ». Depuis, tout se passe comme si le degré de solidarité avec l’Ukraine se mesurait à la nouvelle limite que chaque pays ose franchir en matière de livraison d’armements. Non sans incohérence, d’ailleurs, qui traduisent des hésitations sinon des divergences entre alliés. Dernier exemple : sur les avions de chasse, Biden dit -pour le moment- « No », quand son proche allié, le Premier Ministre britannique,  forme des pilotes ukrainiens en prévision de telles livraisons. 

2) Les voix qui s’opposent à l’escalade sur le terrain de la guerre à la recherche d’un apaisement ont-elles encore voix au chapitre dans le débat actuel ?

Je ne parlerais pas de « recherche  d’apaisement », dans la mesure où il s’agit, dans tous les cas de figure, de mettre un terme à l’agression militaire russe ! Je pense, en revanche, qu’il faut faire tout le possible pour créer les conditions d’un règlement politique du conflit. On me rétorquera que c’est la quadrature du cercle, mais quel dirigeant politique occidental a, jusqu’ici, sérieusement exploré cette voie ? Nous sommes en train d’être pris dans un engrenage qui risque de devenir impossible à arrêter. Emmanuel Macron, qui avait manifesté naguère quelques velléités d’autonomie face au courant dominant de l’OTAN, est rentré dans le rang. On mesure la grandeur d’un Chef d’Etat à son courage d’aller à contre-courant d’une stratégie si sa conviction est qu’elle nous conduit dans le mur ! Mais Macron a-t-il seulement des convictions ?..

3) Comment retrouver le chemin du dialogue, de la diplomatie et de la paix dans ce contexte ? Quel peut-être le rôle de la France en l’occurrence ?

Je ne crois pas à une négociation simplement bilatérale entre Kiev et Moscou. Ni entre les Occidentaux et la Russie. Le conflit a désormais des ramifications mondiales. C’est donc, outre les représentants ukrainiens et russes, au niveau mondial -sous l’égide des Nations unies- qu’il faut, à mon sens, situer la recherche d’un règlement politique du conflit. Et -n’en déplaise à certains- le monde ne se limite pas à l’Occident.  La clé du succès pourrait être l’implication dans ce processus de grands pays qui sont très préoccupés par cette guerre provoquée par Poutine -car elle menace leurs intérêts essentiels- sans pour autant s’aligner sur la stratégie des puissances occidentales, qu’ils jugent hégémoniques . Je pense à la Chine, mais aussi à l’Inde, au Brésil de Lula, à nombre de pays africains, etc…Ils ne sont pas sans influence sur Poutine, mais ne sont prêts à l’exercer qu’en faveur d’un règlement global des problèmes posés, pas d’une « Pax Americana ».  La France s’honorerait bien sûr d’explorer cette piste . En a-t-elle aujourd’hui le courage ? Si oui, il faut qu’elle se dépêche d’agir.

21 février 2023 at 12:25 Laisser un commentaire

QUELLE EUROPE ÉMERGERA DE CETTE MAUDITE GUERRE ?

« La guerre d’Ukraine a vu la naissance tardive d’une Union géopolitique (…) Nous devons nous doter de l’état d’esprit et des moyens nécessaires pour faire face à l’ère de la puissance et nous devons le faire à grande échelle. » Telle est depuis quelque temps la doctrine de l’Union européenne, rappelée par le chef de sa diplomatie, Josep Borrel, un mois après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine (1). Manifestement, le Kremlin, par sa maudite guerre en Ukraine, a dopé des tendances lourdes, déjà à l’œuvre dans l’UE auparavant, en en exacerbant les pires travers.

La première de ces tendances est la militarisation à outrance de l’Europe. Le cas de l’Allemagne est le plus spectaculaire. Rompant avec la tradition pacifiste adoptée après la défaite du nazisme, Berlin affiche aujourd’hui l’ambition de devenir « la force armée la mieux équipée d’Europe ». Paris, de son côté, fait faire un bond de 40% à sa loi (pluriannuelle) de programmation militaire. La Pologne, quant à elle, a plus que doublé son budget des armées. Partout, les dépenses militaires, déjà orientées à la hausse avant le conflit, s’envolent littéralement depuis son déclenchement. L’Union européenne, en tant que telle, a créé un instrument financier sans précédent -intitulé…« facilité européenne pour la paix »-  pour fournir directement une aide militaire à des pays tiers. Quant à l’OTAN, elle est passée en un temps record de « l’état de mort clinique » à un activisme effréné en Europe, où elle recrute même d’anciens pays neutres !

Cette militarisation de l’Europe se conjugue avec une autre tendance en plein essor : l’américanisation de l’Union européenne. Les Etats-Unis déploient désormais dans l’UE plus de 100 000 soldats, en particulier dans sa partie orientale. Ils y écoulent avions de chasse, chars de combat , missiles et autres pièces d’artillerie en quantité exponentielle. Ils y exportent au prix fort leur gaz naturel liquéfié, produit par fracturation hydraulique, un procédé largement interdit en Europe. Notre dépendance à l’Amérique est , plus que jamais, économique, politique et stratégique.

Ajoutons à cela que la guerre en Ukraine a déplacé le centre de gravité de l’UE vers l’Est et mis sur un piédestal la Pologne du PiS, un régime dont certains discours rappellent ceux du FN, et dont, paradoxalement, la « vision du monde n’est pas sans présenter des similitudes avec celle du président russe, qui tend à s’ériger en dirigeant de la restauration conservatrice en Europe »(2) . Hier paria de « l’Europe des valeurs » du fait du non-respect de l’Etat de droit, de l’interdiction de l’IVG, de l’établissement de « zones libres d’idéologie LGBT », du rejet des réfugiés (à l’exception des catholiques), les migrants pouvant être « porteurs de toutes sortes de parasites » dont il convient de protéger les Polonais  (Jarosław Kaczyński), Varsovie est aujourd’hui  en train de voir valider  par ses 26 partenaires sa vision stratégique de l’Europe : un atlantisme inconditionnel et une conception de la sécurité européenne qui ne voit désormais de salut que dans l’escalade des armes. Quo vadis, Europa ?

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(1) Voir « Le grand continent », 24/3/2022.

(2) Voir « Pologne: l’Europe du PiS », Valentin Behr (25/6/2018), GÉOPOLITIQUE.

16 février 2023 at 10:34 Laisser un commentaire

 « HUMANISER LES RELATIONS INTERNATIONALES ! »

  La guerre fait rage en Ukraine ainsi que, hélas, dans bien d’autres pays du monde; l’occupation de la Palestine embrase à nouveau le Proche-Orient; l’humanité subit de multiples formes de violences hors de contrôle ! C’est dans ce contexte qu’une passionnante et émouvante rencontre vient de se tenir au Palais du Luxembourg, à Paris, sur le thème : « Promouvoir les sécurités humaines au service de la paix » (1). 

Expert.es, responsables politiques, actrices et acteurs de terrain y ont fait vivre leur expérience de régions touchées par des conflits et ouvert des pistes pour répondre à la désorganisation du monde. « Humaniser les relations internationales (devrait être) la grande ambition de notre génération », et pour ce faire, « il faut tout changer dans les politiques internationales », avança d’emblée Bertrand Badie, grand spécialiste de la question. L’une des idées centrales qui traversèrent l’ensemble des interventions fut que l’intérêt global -tel que la sécurité alimentaire, sanitaire, environnementale et climatique, culturelle, etc…, indissociablement- doit l’emporter sur ce que chaque État estime être son intérêt national. Il est temps, fut-il souligné, de réaliser que, dans ce monde devenu interdépendant, où l’imaginaire lui-même s’est mondialisé, l’humanité n’existe que par la solidarité entre les humains. Aussi faut-il en finir avec les illusions de la « puissance » qui, si elle conserve malheureusement des capacités de nuire , a perdu toute maîtrise des enjeux de notre époque. Comme le révèle l’observation des grands événements internationaux, on assiste bien plutôt à la revanche du social sur la puissance (voir en ce moment même le soulèvement populaire, et notamment celui des femmes, en Iran !). Ce poids sans précédent des sociétés dans le jeu international doit être reconnu, et la diversité de celles-ci respectée : « la science de la reconnaissance de l’autre est la clé d’entrée dans ce nouveau monde de la sécurité globale », selon la belle formule de Bertrand Badie. 

Parmi les propositions les plus concrètes formulées, on retiendra celle de rendre obligatoires les contributions des 80 « pays à hauts revenus » à l’aide humanitaire et à en confier davantage la gestion aux acteurs locaux ; ou celle d’agir pour que 5% du produit intérieur brut mondial (4000 à 5000 milliards de dollars) par an soient consacrés à l’enclenchement de la transition écologique, et autant pour répondre aux besoins humains essentiels -et ce grâce à deux outils : la fiscalité sur les bénéfices des multinationales et les plus hauts revenus, ainsi que la création monétaire des banques centrales. Ou encore de revaloriser les institutions les plus universelles et les plus légitimes, telles que le Conseil économique et social des Nations unies, aujourd’hui marginalisé, et d’élargir les compétences du Conseil de sécurité de l’ONU à la sécurité…humaine ! Dans ses conclusions, Pierre Laurent, vice-président du Sénat insista sur la nécessité de « hausser le niveau du débat politique sur les grands enjeux de l’émancipation humaine ». Une proposition plus que pertinente, en effet .

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(1) Rencontre-débats, 21/1/2023 à l’invitation de Pierre Laurent, vice-président du Sénat et de Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences-Po. 

2 février 2023 at 6:52 1 commentaire

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