CE QUE NOUS REVELE LA « CRISE GRECQUE »
24 mars 2010 at 3:40 Laisser un commentaire
Personne ne nie les spécificités de la situation de la Grèce et notamment les responsabilités propres aux gouvernements successifs qui ont présidé aux destinées de ce pays, toutes ces dernières années. Pourtant, ce que l’Union européenne – et les media – désignent un peu trop facilement comme la « crise grecque » dépasse en réalité très largement les limites d’un cas particulier.
On peut d’abord y voir une illustration flagrante d’un vice de conception essentiel de la monnaie unique européenne: un même euro fort appliqué à des économies aussi divergentes que l’allemande et la grecque, parce que le but qui lui est assigné est d’allécher les capitaux avides de rendements élevés, et non de favoriser le développement économique et social et la résorption des inégalités entre les pays de la zone.
La crise grecque nous éclaire également sur le degré de « solidarité » qui règne au sein de la zone euro! Non seulement la pauvre Grèce se voit clouée au pilon par les grands argentiers de « l’Union »: la Banque centrale, l’Eurogroupe, le Conseil économique et monétaire, de même que la Commission Barroso – qui l’ont placée sous tutelle et la soumettent à une pression toujours plus impitoyable. Mais voilà que ses propres voisins, – pourtant dirigés comme elle par des gouvernements socialistes, comme le Portugal et l’Espagne, eux aussi dans le collimateur des « investisseurs » – loin de songer à s’entraider pour faire face à la meute, s’évertuent à prouver aux « marchés » que leur propre situation n’a décidément rien à voir avec celle du mouton noir athénien sans parler de l’Italie de Berlusconi qui se démarque bruyamment de pestiféré grec en se déclarant en superforme… malgré son record absolu d’endettement public. Quant à Nicolas Sarkozy, il compte tirer profit de la situation pour justifier une cure d’austérité. Nous reviendrons sur chacun de ces symptômes d’une Europe libérale décidément bien mal en point.
Mais c’est sur une autre révélation de la « crise grecque » que je veux m’arrêter aujourd’hui: à savoir ce nouvel imbroglio financier mêlant Wall Street, nombre d’Etats européens – et pas seulement la Grèce – voire diverses institutions européennes, sur le dos des peuples concernés et de la cohésion européenne elle-même.
Rappel: tout commence avec une nouvelle charge contre la Grèce, accusée d’avoir falsifié les comptes publics du pays pour pouvoir afficher des déficits allégés. Raison de plus – disait-on à Bruxelles – pour surveiller ces « cueilleurs d’olives » pas sérieux et tricheurs! Manque de chance, on apprend que c’est le gratin des banques américaines, et notamment le géant Goldman Sachs, qui ont aidé le gouvernement grec – contre la modique somme de 300 millions de dollars – à maquiller ses bilans. Angela Merkel se drape aussitôt dans sa vertu libérale en jugeant « scandaleuse » cette complicité. Las: de vieux secrets refont surface. Il apparait que de tels montages acrobatiques ont cours depuis dix ans, qu’ils ont concerné non seulement les gouvernements grecs successifs – Pasok et droite – mais d’autres pays membres, et non des moindres. Et ce, en toute légalité! On appelait cela de l’ « innovation financière » quand il s’agissait de « titrisation des dettes » (Italie) – des dettes sont revendues au marché sous la forme de titres financiers, faisant disparaître les créances correspondantes dans la présentation des déficits – ou bien « créativité comptable », quand cela ne concernait « que » des jeux d’écritures exploitant les zones grises des règles en vigueur (Allemagne ou France). Et les institutions européennes savaient, laissaient faire, voire s’en rendaient complices, comme le laisse entendre un ancien ministre socialiste grec à propos de M. Barroso.
Tout cela ne peut en rester là. La transparence s’impose et les leçons doivent en être tirées! Non celle, hypocrite et perverse, qui menace d’émerger: celle d’aller vers une sorte de super-pacte de stabilité encore plus contraignant, mais celle d’un diagnostic global de cette construction européenne qui prend l’eau de toutes parts et de la mise en débat d’un nouveau projet européen.
Chronique pour l’H.D.
22/02/2010
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