À ce régime -là, les citoyens se révolteront
1 décembre 2011 at 9:30 1 commentaire
Dans un éclair de lucidité,Jean-Pierre Jouyet,président de l’Autorité des marchés financiers (le « gendarme de la Bourse »),affirmait récemment -après que ces fameux « marchés » ont réussi à propulser leurs hommes à la tête des gouvernements grec et italien- qu’ « à terme,les citoyens se révolteront contre cette dictature de fait. » Cette prédiction peut aussi s’appliquer à la réforme des traités européens ou au super-pacte de stabilité qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy veulent nous imposer. Ils envisageraient,en effet,de confier à la Commission européenne des pouvoirs exorbitants en matière budgétaire et économique au détriment des parlements nationaux et des gouvernements actuels et à venir.
La Chancelière allemande a comparé ces éventuels nouveaux pouvoirs à ceux que l’éxécutif bruxellois exerce d’ores et déjà pour faire respecter la libre concurrence,domaine dans lequel la Commission n’a à consulter ni le Parlement européen ni les gouvernements pour prendre ses décisions. Et quelles décisions! Deux exemples pris dans l’actualité récente sont éloquents à cet égard.
Le premier concerne Sea France,une compagnie de ferries assurant la liaison Calais-Douvre. Il s’agit d’une filiale de la SNCF que la concurrence,notamment d’Eurotunnel, a mis dans une situation critique.Les 880 emplois en CDI et les 200 emplois saisonniers étant en grand danger et le pavillon français risquant de disparaitre du trafic transmanche,la maison-mère décida d’accorder à sa filiale un prêt de 100 millions d’€.Afin de ne pas être accusée de favoritisme par Bruxelles,la SNCF fixa le taux d’intérêt de son prêt au niveau auquel l’aurait fait « le marché »,soit…8,55%! Peine perdue: la Commission a interdit le prêt. La SNCF étant une entreprise publique,elle n’est pas en mesure de prouver « que les investisseurs croient en la viabilité future » de Sea France! Dès lors,il s’agit d’une « aide d’Etat » illégale.
Second exemple: Volkswagen. Il existe une loi allemande protégeant ce fleuron ,anciennement public ,de l’industrie du pays contre toute prise de contrôle par un groupe étranger.Pire,toute délocalisation d’usine de production nécessite une décision du Conseil de surveillance du groupe,à une majorité des deux tiers.Or,les représentants des salariés y totalisent la moitié des voix… Ces dispositions sont « contraires au principes de libre circulation des capitaux »vient de rappeler Bruxelles. L’Allemagne s’obstinant à en conserver certaines,la Commission vient de saisir la Cour de Justice à y mettre fin. Elle a,dans le même esprit ,laissé un mois au gouvernement italien pour abolir des « droits spéciaux » accordant aux pouvoirs publics un certain contrôle sur de grandes entreprises stratégiques privatisées dans les secteurs de l’energie et des télécommunications.
Conclusion:si vous voulez voir la Commission européenne ( ou tout autre instance inaccessible aux citoyens) acquérir le même type de pouvoirs,cette fois pour veiller à la « discipline budgétaire » et à la « surveillance macroéconomique » des pays membres, soutenez vite le projet Merckel-Sarkozy. Sinon,défendez plutôt le « programme partagé » du Front de gauche.
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vbjcdkjsckjsbkd | 1 décembre 2011 à 2:47
Pour tout le monde, en ce moment, l’Europe est sous la dictature des marchés, de leurs attaques spéculatives qui obligent à mettre des séides de la pieuvre Goldman Sachs aux commandes. Mais plutôt que se focaliser sur le méchant commode de service, quitte à déformer la réalité (Papademos n’a jamais travaillé pour Goldman Sachs, contrairement à ce qu’on lit partout) on ferait mieux de constater que Draghi, Monti, et Papademos, sont avant tout des technocrates européens…
Ce ne sont pas les marchés qui imposent leur loi : ils ne sont que l’instrument de la BCE. Ce que les investisseurs veulent est facile à voir, la presse financière (notamment anglo-saxonne) est très claire; ils veulent que la BCE soutienne les dettes publiques et le système financier en jouant les prêteurs en dernier ressort, comme l’a fait la Fed au moment de la crise des subprimes. Les fluctuations de l’euro, les inquiétudes sur les dettes publiques, sont autant d’occasion pour les investisseurs de subir des pertes et des appels de marge. Si l’Europe était vraiment inféodée aux marchés, la politique de la BCE serait celle du soutien inconditionnel et sans failles aux dettes publiques. MF Global en a récemment fait les frais.
La BCE pourrait arrêter la panique des marchés en un instant, en imposant un plancher inconditionnel aux dettes publiques, mais ne le fait pas : elle n’accordera son soutien que lorsque que ses demandes d’action de la part des gouvernements européens auront suffisamment de chances d’être satisfaites. C’est à dire, une intégration européenne fédérale faite à ses conditions, et une perte drastique d’autonomie des gouvernements nationaux. Dans la stratégie de Liddel Hart, la guerre a pour objectif une paix satisfaisante. C’est exactement ce que fait la BCE : elle maintient la pression des marchés, juste assez pour que les gouvernements nationaux n’aient pas d’autre choix que de redresser leurs finances en menant les plans d’austérité et les réformes économiques souhaitées. Réforme du marché du travail en Espagne, de la rémunération de la fonction publique au Portugal, programme de Monti en Italie.
Et maintenant, c’est la France qui est dans le collimateur. Précisément, c’est la conception gaulliste de l’Europe, défendue par Chirac puis Sarkozy: celle d’une Europe gouvernée par les chefs d’État, au premier rang desquels, bien évidemment, la France. Depuis deux semaines, les taux de la dette publique française explosent, au point que les menaces sur le triple A français se font de plus en plus précises : de fait, la France n’emprunte plus aujourd’hui aux conditions d’un pays AAA, et le cours des CDS sur sa dette correspondent à une note largement inférieure. La tactique est simple : instrumentaliser la pression des marchés jusqu’au point ou, pour éviter de trop creuser l’écart avec l’Allemagne, les français seront obligés de céder et d’accepter un immense abandon de souveraineté, un contrôle strict de l’Europe sur le budget et les politiques nationales. La France sera alors un peu plus allemande, bien moins souveraine, et l’Europe plus fédérale.
Entre-temps, on peut s’attendre à lire des pressions de toute part. Des dirigeants français demandant des efforts à la BCE, voire des rumeurs de désaccords entre ses dirigeants; des articles de la presse financière appelant la BCE à la rescousse du système financier; et des articles sur l’irrationalité des dirigeants de la BCE. C’est oublier que dans la stratégie du bord du gouffre, c’est celui qui apparaît le moins rationnel qui gagne. La rigidité idéologique apparente de la BCE prend tout son sens dans cette perspective.
Ce n’est pas la première fois que l’on voit une banque centrale faire de la politique. La dernière fois, c’était en 1993, au moment des attaques sur le système monétaire européen. A l’époque, Trichet avait défendu la parité franc-mark au prix du plus fort taux de chômage depuis la seconde guerre mondiale. Et la Bundesbank avait soigneusement choisi ceux qu’elle aidait, et ceux qu’elle laissait tomber (au premier rang, la livre sterling).
Il y a énormément de raison de redouter cette stratégie. Tout d’abord, elle se fait sur le dos des populations européennes. Le cas le plus tragique est celui de l’Espagne, dont le gouvernement a fait presque tout ce qu’on lui a demandé, subi malgré tout un taux de chômage effarant (pratiquement 50% de chômage des jeunes), et perdu les élections au profit de partisans de l’austérité budgétaire encore plus zélés. Surtout, cela revient à imposer de force l’intégration fédérale européenne, aux conditions de la BCE, par le chantage : c’est cela ou le chaos. Il se peut que le coût de cette politique finisse par apparaître tellement élevé que la tentation de quitter la zone euro soit la plus forte, parce que l’austérité qui restaure la croissance, ça ne fonctionne pas; même si cela fonctionne, cela revient à imposer le mariage à deux adolescents parce que la jeune fille est tombée enceinte. Ce genre de mariage est rarement heureux, et le ressentiment des populations européennes pourrait devenir explosif. L’exercice d’un tel pouvoir par la BCE est totalement antidémocratique.