VERS UNE « DÉMOCRATIE CONFORME AU MARCHÉ » ?
23 janvier 2014 at 6:38 Laisser un commentaire
L’enterrement de pans entiers du modèle social français issu du Conseil National de la Résistance par François Hollande en ce début d’année a ravivé le débat autour de son exact opposé : le prétendu « modèle allemand » incarné par l’ancien Chancelier social-démocrate Gerhard Schröder (« Agenda 2010 »), puis par la dirigeante chrétienne-démocrate qui lui a succédé , Angela Merkel. Les commentaires suscités outre-Rhin par la récente conférence de presse de l’Elysée sont, à cet égard, d’une clarté aveuglante. D’un côté, le Président de la fédération patronale (BDI) s’est félicité des annonces faites à Paris car « cela (lui) rappelait un peu les réformes Schröder », tandis que le président de la confédération syndicale (DGB) a critiqué ces mêmes orientations…parce qu’elles lui « font penser à l’ « Agenda 2010 « et à toutes les mesures qui y sont liées. « Référence pour l’un ; repoussoir pour l’autre, le « modèle » en question mérite qu’on s’y arrête une fois encore pour en clarifier la portée et faire un sort à quelques « idées reçues » à son propos. C’est l’exercice auquel vient de se livrer avec pertinence, vendredi dernier à Strasbourg, Bruno Odent autour de son livre : »Modèle allemand -une imposture » (1).
Première idée trompeuse: les « bonnes performances » de l’Allemagne sont le fruit des « réformes Schröder ». Faux. Sur dix ans (2002-2012), les richesses produites outre-Rhin se sont accrues de 1,2% par an seulement, en moyenne . Le rebonds ne concerne que deux années sur les dix (2010-2011).Celui-ci est intervenu après une récession record -supérieure à 5% !- en 2009 (deux fois plus forte qu’en France). Les véritables atouts de l’Allemagne sont tout autres et bien antérieurs au tournant de l’austérité : densité industrielle (à l’opposé de la désindustrialisation opérée en France) ; salaires et protection sociale traditionnellement élevés ; relation étroite entre les banques et l’industrie, etc…Ce sont précisément ces atouts que la logique Schröder-Merkel mine progressivement.
Autre idée à revoir: il y a, certes, des inégalités sociales en Allemagne, mais l’économie y est florissante. Faux. Il n’y a pas que des inégalités dans le pays européen le plus riche, il y a un essor de la pauvreté, y compris au travail du fait de la précarité. 15% de la population y vivent sous le seuil de pauvreté (c’est encore pire qu’en France). Une étude officielle indique qu’un salarié relativement bien payé (2500€ brut) doit s’attendre à toucher une retraite de base de…850€ par mois. Concernant l’économie, l’institut allemand des statistiques s’attend à une quasi-stagnation sur l’année 2013 (0,4%), une situation à peine moins préoccupante qu’en France (0,2%). Le manque d’investissements dans les infrastructures publiques est notoirement dramatique.Voilà l’héritage réel du prétendu « modèle ».
Dernier exemple d’idée pernicieuse: grâce à l’instauration du salaire minimum -et de la relance de la consommation intérieure qui s’en suivra- l’Allemagne va pouvoir rejouer le rôle de locomotive de la croissance en Europe. Faux, à tout le moins très exagéré. Certes, la perspective de la création d’un « SMIC » est une rupture naturellement très positive avec les dogmes « ordolibéraux » de la classe dirigeante allemande qui veulent que l’Etat n’interfère pas dans les rapports entre « partenaires sociaux »! Mais la mesure n’interviendra pas avant 2015, et même 2017 dans toutes les branches où les minima sont actuellement inférieurs à 8,50€ (brut). D’ici-là, le contrat de gouvernement ne prévoit pas d’évolution du niveau du salaire minimum au-delà de cette somme (le SMIC français est aujourd’hui de 9,53€ brut). C’est ce « modèle » que Madame Merkel appelle une « Démocratie conforme au marché »…Un exemple pour la France ou pour l’Europe?
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(1) Editions « Le temps des cerises » (2013)
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