FORCE DE LA POLITIQUE CONTRE POLITIQUE DE LA FORCE
27 juin 2019 at 8:52 Laisser un commentaire
« Il serait miraculeux qu’une guerre entre l’Iran et les Etats-Unis n’éclate pas dans les deux ans » pronostiquait, mi-juin, un spécialiste de la question à l’ « International Crisis Group », un important centre d’études stratégiques (1) ! À peine une semaine plus tard, cette sombre prévision a bien failli se réaliser, quand, en réponse à la destruction d’un drone militaire américain, Donald Trump a approuvé un ensemble d’attaques sur un certain nombre de cibles iraniennes, avant de se raviser, tandis que les vols commerciaux étaient interdits dans la zone pour raisons de sécurité. L’irresponsabilité du locataire de la Maison-Blanche et de plusieurs de ses proches conseillers -encore aggravée par l’enjeu de la campagne engagée pour sa réélection- nous oblige à prendre très au sérieux l’hypothèse du pire.
Outre le risque évident de déstabilisation générale de la région qu’entraînerait un tel conflit, les répercussions mondiales de ce possible cataclysme se mesurent à l’aune de ce que représente le pétrole dans l’économie et la géopolitique internationales. Les récents incidents dans le détroit d’Ormuz nous ont, en effet, rappelé la dimension hautement stratégique de ce passage maritime par où transitent 30% de « l’or noir » transporté par voie maritime. Or, Téhéran , en cas d’attaque américaine, aurait les moyens de bloquer ce détroit et détiendrait donc les clés d’une éventuelle flambée des prix du baril. En retour, on verrait mal l’Amérique de Trump, « great again « , ne pas relever un défi de cette importance. Une large coalition se formerait vraisemblablement derrière les Etats-Unis pour « garantir la libre circulation » dans le détroit et défendre les « intérêts vitaux de l’Occident », grâce à une armada calibrée en conséquence. Ce à quoi les « Gardiens de la Révolution » se sentiraient obligés de riposter grâce à leur maîtrise de la « guerre asymétrique »…C’est par ce type d’engrenage que se déclenchent puis s’enlisent les guerres « que personne ne souhaitait ».
Comment réagissent à ce bras-de-fer explosif les principaux Etats européens, co-signataires des Accords de Vienne de 2015, censés garantir à l’Iran la levée des sanctions contre l’engagement de geler son programme nucléaire militaire -engagement pleinement respecté jusqu’à ce jour par Téhéran, mais menacé si l’UE n’aide pas l’Iran à sortir les secteurs pétrolier et bancaire de l’isolement complet où les ont placés les sanctions américaines ? L’UE se disait, dans un premier temps (août 2018), « déterminée à protéger les opérateurs européens engagés dans des affaires légitimes avec l’Iran », et avait même exhumé une vieille loi (dite de « blocage ») qui interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets « extraterritoriaux » des sanctions américaines ! Ce temps est passé. Désormais, tous les grands groupes européens se sont retirés d’Iran. Londres s’est aligné sur Washington dans l’affaire des deux pétroliers mystérieusement incendiés. Berlin a demandé à l’Iran de continuer à respecter à la lettre les Accords, tout en précisant que l’Europe ne pouvait faire de « miracles » pour compenser les sanctions américaines. Paris, tout en estimant qu’il était « dommage » que les Etats-Unis aient rompu leurs engagements, a appelé Téhéran a faire preuve de « maturité politique » en respectant les siens. Hier fière d’avoir contribué à un succès historique de la diplomatie internationale, illustrant la force de la politique, l’UE étale aujourd’hui son impuissance face à la politique de la force…de son principal allié. Un problème à méditer par ceux qui comptent sur une défense européenne pour devenir un « acteur majeur des relations internationales ».
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(1) Ali Vaez dans Le Figaro (14/6/2019)
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