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Arrogance et décadence du New Labour
La récente défaite du Parti travailliste a une portée politique qui dépasse de loin celle d’un échec électoral. Quelques rappels ne sont pas superflus. Nous sommes en juin 2005, tout l’establishment européen est en émoi après le rejet du traité constitutionnel. L’Europe libérale est sur la sellette. Hasard du calendrier : nous sommes également à la veille du semestre de présidence britannique de l’Union européenne. Tony Blair, fringant et sûr de lui, prend la parole devant l’hémicycle bondé du Parlement européen. D’emblée, il fait la leçon à tout le monde : « Quelle est la signification du “non” ? Cela veut-il dire que les citoyens ont lu le traité et qu’ils ne sont pas d’accord avec tel ou tel article ? » Puis, plaçant les mains sur ses hanches : « Qui peut le croire ? » Non, il nous l’assure, les orientations politiques européennes ne sont pas en cause. Tout n’est qu’une question de « leader-ship ». À l’appui de sa thèse, il nous invite, sans se départir de son perpétuel optimisme, à mesurer les changements remarquables intervenus en Grande-Bretagne sous sa direction.
Notre groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE-NGL) décide aussitôt de se rendre à Londres, à la rencontre des principaux syndicats et d’observateurs progressistes de la « troisième voie ». Nous leur demandons leur propre vision du modèle social « modernisé », vanté par leur premier ministre. Les réactions reflètent une très sérieuse érosion de l’aura initiale du New Labour… Huit ans d’ « ère nouvelle » ont manifestement suffi pour décevoir les plus confiants et conforter les plus sceptiques. Certes, ils ne nient pas les mesures de rattrapage des pires séquelles de 18 ans de règne conservateur, dont 11 ans de thatchérisme pur et dur, comme les augmentations des dépenses de santé et d’éducation, ou les aides aux enfants les plus pauvres. Mais la rupture attendue avec la logique profonde de la politique de la Dame de fer n’est pas venue : inégalités cruelles, retraites de misère, médiocrité (et cherté) des services publics, hyperprécarité, appel aux solutions individuelles, mépris des syndicats… se poursuivent, nous ont-ils laissé entendre. De même que le culte de la privatisation : les fameux « partenariats public-privé » (importés depuis en France) prolifèrent. Cinq ans plus tard, malgré le départ forcé de Tony Blair et son remplacement par Gordon Brown, qui passait alors pour le héraut de l’aile sociale du New Labour, le même modèle a prévalu. Avec les résultats que l’on sait.
On comprend mieux, dès lors, qu’on puisse lire sous la plume d’un Jose Maria Aznar, figure de la droite espagnole, que « Tony Blair est un des rares dirigeants de gauche qui a su comprendre la mondialisation et y apporter une réponse intelligente. « La complicité des deux hommes ne s’est d’ailleurs pas limitée au champ économique et social. On les vit, côte à côte, dans toutes les aventures militaires menées par George W. Bush, de Bagdad à Kaboul. En guise de récompense, l’ex- Premier ministre se vit proposer, en quittant le « 10, Downing Street », de représenter le « Quartet » – ensemble composé des USA, de l’UE, de la Russie et de l’ONU – pour le suivi et la prise d’initiatives communes en Palestine. L’absence notoire, à ce jour, de tout investissement politique digne de ce nom dans cette tâche potentiellement si importante achève à mes yeux de déconsidérer cet ancien prétendant à la rénovation de la gauche et de l’Europe. La défaite du New Labour est d’abord la sienne.
Par association d’idées, la « reconversion » d’autres dirigeants européens de la même période me revient à l’esprit. Madame Ferrero-Waldner dirigeait le secteur des relations extérieures de la Commission européenne. Elle exerce à présent ses talents auprès du réassureur allemand Munich Re. L’ancien puissant vice-président de la Commission, en charge du portefeuille de l’Industrie, M. Günter Verheugen, est passé à la banque britannique BBS. Quant à l’ancien commissaire ultralibéral au Marché intérieur, M. McCreevy, il vient d’être autorisé à rejoindre le conseil d’administration de la compagnie Ryanair, où il a été invité à éviter les conflits d’intérêts…
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