Archive for 25 mai 2011
La « force tranquille et le candidat anti-Giscard »
La campagne de George Marchais
Formellement,la campagne du Parti communiste pour l’élection présidentielle de 1981 n’a commencé qu’au mois d’octobre précédent. En réalité,Georges Marchais, à l’époque seul candidat envisageable, n’a pas attendu sa désignation pour engager un marathon politique qui a peu d’équivalents dans l’histoire de la Vème République. D’une certaine manière, il s’agissait de l’épilogue d’une longue période de mobilisation croissante du parti, de radicalisation croissante de son discours, et de politisation croissante de son électorat, consécutive à la rupture du programme commun de la gauche intervenue en septembre 1977.
A peine trois mois avant ce clash historique,Georges Marchais avait effectué
en Alsace un séjour exceptionnel dont les enseignements dépassaient de loin le
cadre spécifique de cette région.Durant huit jours,il avait sillonné cette
« terre de mission » en allant à la rencontre des publics réputés les plus
rétifs aux idées communistes : chrétiens; »malgré nous »;syndicats
« réformistes »;militants antinucléaires;travailleurs attachés à leur identité
régionale…S’il s’agissait d’un test de notre stratégie d’alors,il s’avéra
concluant!En tout cas, Georges Marchais excella dans cet exercice,fort qu’il
était à ce moment-là tout à la fois de notre politique d’ouverture fixée un an
auparavant lors de l’emblématique « 22ème Congrès »;de notre stratégie d’union
de la gauche censée annoncer des changements prometteurs;et aussi d’un
optimisme conquérant nourri par toute une série d’événements encourageants qui
s’étaient succédés ,tant sur le plan intérieur (comme les succès
spectaculaires enregistrés aux elections municipales de mars 1977) que dans
l’actualité internationale (tels la chute du fascisme en Espagne et au
Portugal,la libération de l’Angola et du Mozambique et surtout la victoire du
peuple viet-namien).
L’échec de la stratégie d’union en France ,en cassant ce climat de confiance,a
ouvert la voie à la radicalisation du discours communiste.Puisque la
perspective unitaire s’éloignait,il importait de bander les muscles et de
faire front.Les quatre années qui nous séparaient de l’election présidentielle
n’allaient cesser de voir s’exacerber cette nouvelle athmosphère.Toute la
campagne de 1981 en fut imprégnée,avec le double effet d’une mobilisation sans
pareil du « peuple communiste »…et d’un isolement de ce dernier au sein du
« peuple de gauche » en général.
Ce n’est qu’en ayant en vue cette contradiction qu’on peut comprendre que la
campagne à bien des égards la plus réussie de l’histoire récente du PCF ait
débouché sur un échec retentissant de son candidat.Campagne la plus réussie?
En effet!Soir après soir,d’immenses salles combles sinon des stades entiers
ovationnaient Georges Marchais!Un enthousiasme époustouflant!Un courant de
sympathie et même d’affection enflammé! Il fallait mesurer le souffle que
libérait le fameux « au-dessus de 4 millions,je prends tout! » ou bien voir
l’accueil réservé par les publics féminins au traditionnel passage sur « les
femmes passives;les femmes soumises; les femmes craintives,c’est bien fini et
c’est tant mieux! » (Pour la petite histoire,lors du premier de ses deux
discours en Corse,Georges Marchais céda aux amicales pressions de quelques
dirigeants locaux en supprimant cette phrase de son discours.Il se le reprocha
vivement et tint bon le lendemain.Avec un égal succès…)
Le jour fatidique approchant et les sondages annonçant avec constance un score
de 15% pour un parti alors habitué à dépasser la barre symbolique des 20% ,une
évidente et compréhensible nervosité habitat le candidat,son entourage et la
direction du parti.Georges Marchais,conscient de la cruelle déception qui
allait étreindre ces hommes et ces femmes scandant tous les soirs « Marchais
Président » (non parce qu’ils voyaient leur candidat à l’Elysée, mais parce
qu’ils puisaient leur dignité dans son succès),fut très affecté de ce
douloureux hiatus. Le soir du 26 avril,ce ne fut donc pas une surprise,mais la
confirmation dramatique d’un échec qu’on pressentait sans se l’avouer
annonciateur d’un déclin durable.Georges Marchais avait cependant réuni sur
son nom pas moins de 4,5 millions de voix – notamment parmi les couches
populaires et les jeunes- alors même que le premier espoir sérieux de victoire
d’un Président socialiste sous la Vème République avait dopé le « vote utile ».
Cette campagne laisse donc forcément un souvenir mitigé.Elle a permis
d’exprimer avec une force impressionnante des exigences légitimes,mais s’est
inscrite dans une stratégie qui n’a pas permis de les faire aboutir.A u total,
c’est une page d’histoire qui mérite un hommage lucide.
Cette article est publié dans
Hors-série L’Humanité,
1981 l’Histoire d’une espérance
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