L’EUROPE ET LE PARIA ARGENTIN
4 mai 2012 at 11:29 Laisser un commentaire
La campagne électorale a fait passer au second plan de l’actualité des événements non seulement importants en eux-mêmes mais à méditer dans notre propre intérêt. Il en va ainsi de la décision annoncée il y a peu par la présidente argentine, Cristina Kirchner, de nationaliser 51% de la compagnie pétrolière YPF, filiale du groupe espagnol REPSOL – décision entérinée le 26 avril dernier au Sénat argentin par un vote qui en dit long sur la popularité de cette nouvelle mesure dans le pays: 63 pour, 3 contre!
Il n’en va pas de même en Europe! Le tollé déclenché par cette affaire, non seulement dans les milieux patronaux espagnols, mais dans les sphères officielles de l’Union européenne, mérite qu’on s’y arrête. Ainsi, la Commission Barroso a-t-elle dénoncé avec force cette mesure, qualifiée de « très mauvais signal à tous les investisseurs étrangers » et annulé immédiatement une mission européenne de coopération industrielle ainsi que d’autres rencontres programmées de longue date à Buenos Aires. La présidence (danoise) du Conseil n’a pas été en reste, en dénonçant une « décision inacceptable » qui fait planer une « menace sur l’activité économique ». Jusque là, me dira-t-on, ce sont des réactions peut-être déplorables, mais pas surprenantes. On peut, en revanche, être stupéfié d’apprendre que le Parlement européen, à près de 85% (458 voix pour, 71 contre et 16 abstentions!), a appelé la Commission à prendre des mesures de rétorsion en usant de « tous les instruments et règlements disponibles au sein de l’OMC et du G20 »!
L’agence Europe, spécialisée dans la diffusion des informations sur les institutions de l’UE, a consacré un long éditorial à ce dossier, en se félicitant que le Parlement européen ait « réagi avec rigueur, à l’exception de quelques députés d’extrême gauche (notre groupe de la Gauche unitaire européenne et une minorité d’autres députés de gauche) qui se croient généreux et avant-gardistes en prenant position au détriment d’un Etat membre qui est dans son droit et traverse un moment particulièrement difficile »! Pauvre PDG du pétrolier REPSOL, qui estime avoir droit, à titre de « compensation » pour ses 57,4% d’actions détenues dans YPF, la somme rondelette de 8 milliards d’euros! Ah, elle est belle, cette mentalité de caste européenne qui n’a cure du calvaire imposé au peuple espagnol par les programmes d’austérité à répétition pilotés depuis Bruxelles et Francfort mais en appelle à la « solidarité » avec un grand pétrolier mis devant ses responsabilités.
Car, ce que ne disent pas tous ceux qui font de l’Argentine un nouveau paria, c’est que cette mesure d’ « expropriation » ne vise aucune autre entreprise étrangère dans ce pays ni même aucun autre actionnaire d’YPF. Elle ne concerne que REPSOL, à qui tout le pays reproche le refus d’investir depuis six ans dans YPF pour protester contre un encadrement des prix de l’énergie en Argentine, qui avait le grand tort de rendre cette entreprise un peu moins profitable que celles des pays voisins. Cette grève des investissements a obligé l’Argentine à importer du pétrole, explosant par la même, ses déficits. Or, les marchés financiers n’ont jamais pardonné à l’Argentine son « défaut » de 2001. Ils refusent de lui prêter l’argent dont elle a un besoin impérieux. La nationalisation d’YPF tient, dès lors, de la légitime défense. Le peuple espagnol et le peuple argentin ont les mêmes ennemis.
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