29 MAI 2005 : GENÈSE D’UNE VICTOIRE QUI SECOUA L’EUROPE
28 mai 2020 at 1:59 Laisser un commentaire
Ce mercredi 3 septembre 2003, il règne au Parlement de Strasbourg l’effervescence des grands jours : c’est aujourd’hui que Valéry Giscard d’Estaing doit présenter en séance plénière « son » projet de traité constitutionnel européen issu des travaux de la « Convention sur l’avenir de l’Europe » qu’il a présidée durant 16 mois. L’ancien Chef de l’Etat est aux anges, cite Thucydide ( historien du Vème siècle avant notre ère ), invite avec insistance l’honorable Assemblée à « écouter les citoyens », égraine les « valeurs » de l’Union…Dans le débat qui suit, je lui fait remarquer qu’il a fait l’impasse sur toute la partie de la « Constitution » (340 articles, deux tiers du texte !) qui traite des dispositions érigeant l’Europe libérale en modèle intouchable. En fait, tout comme le discours de Giscard, l’édition-« grand-public » du projet de « Constitution » en circulation à cette époque avait été drastiquement expurgée ! Du coup, ce qui est présenté à l’opinion est, pour l’essentiel, consensuel.
Le même jour encore, je me mets au travail pour préparer, avec la direction du PCF et celle de l’ « l’Humanité », une édition « tirée à part » de quatre pages, destinée à révéler à un très large public « La face cachée du traité-Giscard ». Nous sélectionnons, pour ce faire, une série de passages-clés du texte « omis » dans sa présentation tronquée, accompagnés de brèves explications à même d’en faciliter la compréhension par tout un chacun. C’est ainsi qu’avant la mi-septembre 2003 -soit 20 mois avant le référendum (qui, à cette époque, était loin d’être acquis)- , les communistes français lancent à grande échelle ce qui deviendra, au fil d’une campagne qui ne cessera de gagner de nouvelles forces, l’expérience de démocratie citoyenne la plus poussée que nous ayons connue, appliquée à l’Europe.
Trois caractéristiques essentielles de notre contribution à cette campagne méritent, à mes yeux, d’être retenues.
D’abord, le choix de l’appel à l’intelligence : un effort d’information rigoureuse, excluant la caricature (Exemple : la diffusion massive du texte complet du traité, rendu accessible par des annotations en marge des passages-clés) ; une préférence pour les débats de fond, sans effet de tribune, plutôt que les meetings du type « grand-messe »; le refus du simplisme et de la démagogie (Exemple : un démenti clair à la rumeur selon laquelle un succès du OUI obligerait la France à participer à la guerre d’Irak !).
Ensuite, le parti-pris du rassemblement le plus large, à gauche, autour de la position : « Non à l’Europe libérale, Oui à l’Europe sociale ! » Les révélations sur la « Directive Bolkestein » ont favorisé, sur cette base, un élargissement spectaculaire.
Enfin, un refus absolu de tout repli -à plus forte raison de toute forme de xénophobie ( la référence perverse au « plombier polonais » est le thème cher à la droite anti-européenne)- et une attitude résolument solidaire avec les progressistes d’autres pays européens, souvent invités à prendre la parole dans nos réunions publiques.
On sait que l’Union européenne, avec le concours actif de Nicolas Sarkozy, a purement et simplement ignoré cette victoire si exceptionnellement mûrie du NON en rebaptisant « traité de Lisbonne » le traité constitutionnel élagué de quelques fioritures et reconfiguré pour le rendre illisible . Pour autant, il serait erroné d’en conclure que ce message adressé aux cercles dirigeants européens par la majorité des citoyennes et des citoyens de l’un des principaux pays fondateurs de la construction européenne ainsi que la qualité de la campagne qui a conduit à ce résultat auraient laissé indifférente toute la hiérarchie des décideurs européens ! J’ai perçu auprès de certains d’entre eux un vent de panique, à l’idée que « le consensus sur lequel repose l’Union européenne risquait de se briser ». La question était précisément de faire en sorte que l’ « Europe » change pour répondre au consensus émergeant parmi les citoyens européens ! J’avais d’ailleurs répondu par avance, face à Giscard d’Estaing, à cet argument du « consensus qui risque de se briser » : « Parce que je suis profondément convaincu qu’il y a, de nos jours plus que jamais, un besoin d’Europe pour espérer transformer le monde, j’estime qu’il serait très dommageable de pousser ainsi nombre d’anti-libéraux à devenir anti-européens ». D’une certaine façon, le jugement porté sur cette expérience -trois jours…avant le résultat du référendum- par le Président de l’Eurogroupe de l’époque, Jean-Claude Juncker, abondait, de fait, dans le même sens (voir encadré).
C’est encore bien plus vrai aujourd’hui : pour sauver l’Europe, il faut la changer.
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JUNCKER : « UN EXEMPLE À SUIVRE ! »
« La perspective du référendum a déclenché en France un débat vertueux dont la qualité impressionne (…) Le peuple français investit les lieux du débat, fait savoir que c’est de lui qu’émane tout pouvoir, que c’est lui qui décide et qu’il n’est pas près – au delà du 29 mai – de se dessaisir d’un sujet qui désormais le passionne. Si toutes les opinions publiques avalent la même envie de débattre de l’Europe que les Français, nous assisterions enfin à la naissance d’une opinion publique européenne qui nous fait si cruellement défaut aujourd’hui. Une fois de plus, le peuple français donne un exemple à suivre; une fois de plus, il prouve sa maturité démocratique, il ne faut pas s’en plaindre ».
Jean-Claude Juncker Président de l’Eurogroupe Le Figaro (26/5/2005)
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