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MALI : APRÈS UN HOMMAGE MÉRITÉ, DES QUESTIONS LÉGITIMES.
Le tragique accident qui a coûté la vie à treize soldats français lors d’une opération de combat au Mali a ému la société tout entière. L’hommage rendu à ces jeunes hommes courageux était mérité et ne peut susciter nulle contestation. Il n’en est que plus urgent d’ouvrir enfin le débat sur le sens, les résultats et les perspectives de cette aventure militaire passée en sept ans de prétendue opération-éclair au bilan triomphal ( François Hollande célébra à Bamako « la journée la plus importante de (sa) vie politique » en février 2013, après seulement 22 jours de combats ) à véritable bourbier de grande envergure pour toute une génération.
Désormais directement confrontés à l’impasse à laquelle conduit partout ce type de stratégie à courte vue -et préoccupés par le coût ( 2 millions d’euros par jour ! ) de cette guerre sans fin et par la difficulté à constituer une force africaine à même de prendre le relai (G5 Sahel)- les dirigeants français tentent d’entraîner dans leur sillage des partenaires européens jusqu’ici plus que réticents . Pour Paris, en effet, cette guerre est un rempart contre le terrorisme et, à ce titre, protège toute l’Europe…Douze pays de l’UE seraient désormais prêts à s’impliquer, sans que l’on ne sache ni quand ni sous quelle forme cette force européenne serait appelée à se déployer. En tout état de cause, cette fuite en avant tourne le dos aux besoins vitaux de populations aux prises avec une crise humanitaire insupportable et ne peut qu’attiser leur ressentiment à l’encontre de ces nouveaux « occupants »…
A l’inverse, il serait grand temps d’écouter ce que disent de cette tragique expérience les premiers concernés : nos amis du Mali et du Sahel, en général. Une grande figure de la gauche malienne, Aminata Traoré, ancienne Ministre de la Culture et personnalité associée au « Dialogue national » du Mali lançait à ce propos, le 16 novembre dernier, à Paris, un véritable « J’accuse ! » : «La France de l’après-guerre froide voulait se repositionner dans son ancien pré-carré pour avoir de la marge de manœuvre dans la mondialisation (…) La guerre nous a été imposée. Elle n’est pas une solution. Chaque jour, des innocents sont tués (…) Plus on tue de djihadistes, plus il y en a (…) C’est sans issue ! (…) Le djihadisme est l’une des conséquences des politiques néolibérales assassines imposées à nos pays au nom d’un modèle économique qui n’a pas vocation à les développer (…) Notre pays est militarisé à mort (…) Et maintenant, ils veulent forcer la main des cinq pays concernés (1) pour créer une défense africaine financée par l’Afrique : un milliard de dollars par pays pour combattre un ennemi sans visage, alors que les écoles sont déglinguées, les hôpitaux, n’en parlons pas, il n’y a rien ! Le retour de l’humain, l’humanisation de la mondialisation est une question fondamentale pour nous ». (2) Voilà des mots qui nous parlent !
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(1) Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger et Tchad.
(2) Colloque : « Réinventer la politique internationale de la France » (voir www.pierrelaurent.org )
« ALLIÉ » AMÉRICAIN ET « RIVAL SYSTÉMIQUE » CHINOIS
Les Etats-Unis, qui sont, comme chacun sait, les « Alliés indéfectibles de l’Europe », viennent de lancer un nouveau missile commercial contre l’économie de l’UE, et particulièrement celle de la France. Après la surtaxation de l’acier et l’aluminium en juin dernier, l’administration Trump vient de décider de majorer d’un montant total de 7,5 milliards de dollars (!) les droits de douanes sur une série de produits d’exportation français, allemands, espagnols et britanniques. Cette mesure punitive -la plus forte jamais autorisée par l’Organisation mondiale du commerce- vise, selon Washington, à compenser les subventions indues versées par les quatre partenaires du consortium Airbus à leur industrie aéronautique (en réalité, des aides comparables à celles versées par les Etats-Unis à Boeing). Ces taxes supplémentaires seront, en principe, appliquées dès le 18 octobre prochain, non seulement aux exportations d’avions européens, mais, en prime, à des produits ciblés pour faire mal, tels que les vins et les fromages français (+ 25% !), les vêtements anglais, les outils allemands…Sur les quelque 9,7 milliards de dollars de pertes annuelles que s’attendent à subir les pays touchés, le quart concernerait la France. Trump ne s’arrête d’ailleurs pas en si bon chemin : il réfléchit à un autre volet de sanctions contre l’Europe, cette fois pour renchérir le prix des voitures exportées outre-Atlantique. Le suspense fait trembler les constructeurs , notamment allemands. On saura d’ici le 13 novembre quel sera le bon plaisir du locataire de la Maison-Blanche à ce propos. L’UE agite la menace de mesures de rétorsion mais se dit prête à négocier. « Nous tendons la main » a souligné notre ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en invitant les Etats-Unis à écouter « la voix de la sagesse » !
Les termes utilisés par les responsables européens sont moins galants, s’agissant de la Chine, qualifiée, quant à elle, pour la première fois, de « rivale systémique » dans un document officiel de la Commission européenne, le 12 mars dernier. Le mot est fort et n’est appliqué qu’à la Chine. Pourtant, Pékin, contrairement à Washington, respecte les Accords multilatéraux que l’Union européenne juge essentiels, tels celui de Paris sur le climat ou celui de Vienne sur le nucléaire iranien. Le président chinois dit vouloir conclure avec les Européens des partenariats « gagnant-gagnant », quand celui des Etats-Unis arbore fièrement sa devise « America first ». Et sur les droits de l’homme, Donald Trump n’a guère de leçons à donner à Xi Jinping…Alors, pourquoi cette tolérance dans un cas et cette crispation « systémique » dans l’autre ? S’il s’agit d’empêcher l’acquisition incontrôlée de biens publics, de secteurs stratégiques ou d’éléments du patrimoine , on ne peut qu’acquiescer, mais cela vaut pour tout prédateur , d’où qu’il vienne ! Il n’en va pas de même, en revanche, quand le grief avancé est le refus de la Chine d’ouvrir à tous vents ses marchés publics : à nos yeux, c’est l’UE qui a le grand tort de se priver d’un levier d’influence publique sur l’économie en livrant aux plus offrants ces marchés gigantesques représentant près de 2000 milliards d’euros par an. Plutôt que de céder à l’angoisse « systémique » de voir un jour les Etats-Unis perdre leur « leadership », l’UE gagnerait à construire avec la Chine, comme avec tout autre partenaire qui y est prêt, des relations exigeantes mais constructives.
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