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« PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE « : COMMENT PESER ?
Le 14 Juin prochain, le « Conseil » de l’Union européenne (autrement dit les représentants des 27 gouvernements des États membres) est appelé à prendre l’une de ces décisions qui passent quasiment inaperçu lorsqu’elles interviennent, mais s’avèrent lourdes de conséquences à terme, quand il est devenu très difficile de les changer. En l’occurrence , il s’agit de l’adoption du mandat à confier à la Commission européenne pour négocier avec les États-Unis le contenu du plus important traité de libre-échange jamais conclu, puisque les deux ensembles représentent , cumulés, la moitié des richesses produites dans le monde. J’ai déjà évoqué dans ces colonnes, il y a tout juste trois mois, les enjeux de société , voire de civilisation , que recèle un « partenariat transatlantique » de cette nature.(1) Dès lors, il n’est pas superflu de voir où, quand et comment il est possible de peser sur les choix des instances européennes en la matière.
Comment se prend ce type de décision? Le principe même de la constitution d’un grand marché euro-américain ouvrant la voie à une hyper-libéralisation du commerce et des investissements est un serpent de mer que l’UE et les USA ont relancé en commun en début d’année. Bruxelles a aussitôt enclenché un processus qu’il espère voir aboutir d’ici 2015 ou 2016. Premier acte: la Commission Barroso a élaboré en mars un projet de « mandat de négociations » qui laisserait les mains dangereusement libres au négociateur européen. Deuxième acte: le Parlement européen à émis ce 23 mai un avis (consultatif et donc non contraignant) sur ce projet. Troisième acte: le Conseil va modifier, adopter…ou rejeter , le 14 Juin, le mandat en question . A partir de là, si un mandat est adopté, le Commissaire européen au commerce, le très libéral Karel De Gucht, entamera sur cette base des pourparlers censés durer deux ou trois ans avec son homologue nord-américain. Enfin, Conseil et Parlement auront à se prononcer, le moment venu , par oui ou par non sur le résultat final de ce bras de fer planétaire .
Il était et demeure donc nécessaire de se faire entendre au moins de trois manières. D’abord vis-à-vis du Parlement européen : c’est ce qu’ont fait les défenseurs de l’ « exception culturelle », en demandant avec force aux députés de se prononcer pour l’exclusion du cinéma et de l’audiovisuel des secteurs ouverts au libre-échange afin de garantir les protections dont bénéficient ces domaines en Europe. Ils ont été entendus. D’une part, 14 ministres de la culture ont, à l’initiative de la France, repris à leur compte cette exigence. D’autre part, une majorité de parlementaires européens a voté en ce sens la semaine dernière. C’est un sérieux camouflet pour la Commission Barroso , mais pas encore une défaite puisque ce vote n’était pas contraignant.
Un deuxième axe d’intervention est celui qui conduit dans les deux prochaines semaines au Conseil. C’est lui qui donnera ou non son feu vert à la Commission et fixera sa feuille de route. Il s’agit donc de placer chaque gouvernement face à ses responsabilités. Ainsi Paris lui-même se dit préoccupé, outre les menaces sur l’ « exception culturelle », par celles pesant sur les services publics, les normes sociales et environnementales, les règles d’origines, les marchés publics de la défense…Autant de raisons de dire NON, de chercher des alliés, de tout faire pour stopper le processus.
Le troisième champ d’intervention s’étend du14 Juin jusqu’à l’issue des négociations . Les contradictions explosives qui ne manqueront pas doivent être saisies pour arracher le rejet final de l’accord de libre-échange …si accord il y a, ce qui n’est absolument pas sûr au vu des précédentes tentatives avortées. Et puis, entretemps auront lieu des élections européennes, en 2014 !
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(1) Humanité Dimanche : 21/2/2013
Europe : la diversité des langues en danger
Au début de l’été, le gouvernement a salué une « première » historique : la présence d’un ministre allemand (des Finances) à un Conseil des ministres français. Des observateurs perfides ont remarqué à cette occasion qu’au bout d’un demi-siècle de relations privilégiées entre les deux pays – et notamment d’une promotion volontariste de l’apprentissage réciproque de la langue du voisin –, seulement deux membres du gouvernement Fillon n’ont pas eu besoin de recourir aux services des interprètes pour comprendre leur interlocuteur d’outre-Rhin. Preuve qu’aujourd’hui l’hégémonie de l’anglais (ou du « globish » qui en tient souvent lieu et qui a peu à voir avec la langue de Shakespeare) n’est pas un problème pour les seuls Français, qui voient décliner dangereusement l’usage de leur langue, mais qu’il menace d’étouffer tout le pluralisme linguistique européen. Or, une langue, c’est bien plus qu’un mode d’expression. Elle fait vivre et rayonner une culture. Le « marché unique » peut se contenter d’un charabia unique. La culture, qui est plurielle, appelle, elle, la pluralité des langues.
Voilà bel et bien une autre bataille politique à ne pas négliger : assurer la vie – et non la survie – de toutes les langues européennes, de celles dites « minoritaires », nombreuses dans l’Europe élargie à 27 nations, aux plus parlées. Y compris – of course ! – de l’anglais authentique. Il est inacceptable d’exiger de qui que ce soit de renoncer à s’exprimer dans sa langue pour – à égalité de chances – participer à un appel d’offres ou à un concours, publier un article sur des travaux de recherche, ou soutenir une thèse. Il est encore plus scandaleux de condamner à la marginalité des pans entiers du patrimoine culturel européen sous prétexte qu’ils ne répondent pas aux canaux linguistiques dominants. Toute pratique qui favorise ces tendances doit être combattue, tout effort de créativité pour s’en émanciper mérite, à l’inverse, un soutien résolu.
Citons, à titre d’exemple, une initiative développée au début des années 2000 par l’Union des théâtres d’Europe – avec, à l’époque, le soutien de l’Union européenne. Elle consistait à traduire, à publier et à diffuser, chaque année, dans les cinq langues européennes les plus parlées, cinq pièces d’auteurs contemporains écrites dans les langues les moins répandues. Dans le même esprit a été lancé, à Orléans en 1998, un partenariat exemplaire entre huit pays européens (France, Espagne, Italie, Portugal, Grèce, Hongrie, Slovaquie, Roumanie) qui a permis, en l’espace de dix ans, d’assurer la traduction, l’édition et la diffusion de quatre cents textes dramatiques bien au-delà des limites de l’Union européenne. Mais faute d’un soutien pérenne – national et européen –, de telles initiatives ne peuvent s’inscrire dans la durée.
Je me souviens que, jeune étudiant, j’avais été ébahi de voir, dans le métro de Budapest, bon nombre de voyageurs plongés… dans des recueils de poèmes hongrois. J’avais alors décidé de me lancer dans l’apprentissage des rudiments de cette langue – « minoritaire » s’il en est – pour tenter de m’approprier ces œuvres apparemment si captivantes… Aujourd’hui, les bourses Erasmus ouvrent fort heureusement des perspectives plus assurées aux jeunes Européens qui ont la chance d’en bénéficier. Cela doit devenir un droit pour tous et pour toutes ! Un proche, très investi dans ces enjeux, milite en faveur d’une initiative annuelle symbolique et médiatique du type Fête de la musique, mais appliquée aux langues et aux cultures d’Europe. Une sorte de Printemps européen des langues favorisant l’éclosion d’initiatives citoyennes sur ce thème trop délaissé. Una bellissima idea.
AU POETE DE LA FRANCE REBELLE
J’étais en train de réfléchir à ma chronique de la semaine. Je comptais proposer de l’intituler: « Nous sommes tous des Grecs! » – tant l’orage qui s’abat sur ce peuple cher doit non seulement nous émouvoir, mais nous alerter sur le gros temps que porte la nuée au-dessus de nos propres têtes. C’est alors qu’en allumant la radio à l’heure des infos, j’entendis en guise de titre, la chaude voix de Jean Ferrat. Je compris aussitôt que le poète de « ma France, la belle, la rebelle » venait de nous quitter…
Tristesse: le mot est bien trop faible et trop banal pour décrire ce que ressent en ce moment quiconque a été nourri, au fil des étapes de son propre engagement, par ses accents de générosité et son insatiable goût du combat pour « un monde où l’on n’est pas toujours du côté du plus fort ». Instantanément nous reviennent des passages chantés avec une telle sincérité et une telle justesse qu’ils sont gravés dans notre mémoire comme autant de marqueurs de l’identité humaniste qu’il incarnait à merveille: « On vit l’Espagne rouge de sang crier dans un monde immobile »; « Marin, ne tire pas sur un autre marin »; « Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux »; « Ah, Monsieur D’Ormesson, vous osiez affirmer qu’un air de liberté flottait sur Saigon! », et aussi « Camarades, que venez-vous faire ici? », à Prague…
A mesurer l’intensité de l’émotion suscitée par la disparition de cet éveilleur de consciences, qui « ne chantait pas pour passer le temps » mais pour exprimer une saine révolte contre l’injustice et l’oppression et s’engager, au milieu des humbles, au service de l’émancipation humaine, on ne peut qu’être conforté dans l’idée que cette éthique, si étrangère au culte du « gagneur » dont on nous abreuve, – de même que le choix d’une vie pleine de pudeur et de retenue si opposé à l’exacerbation des ego qui peuplent notre univers – continuent de répondre à une attente profonde en France et au-delà. C’est le magnifique message d’espoir que nous lègue Jean Ferrat.
« Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France »
![ales2[1]](https://franciswurtz.net/wp-content/uploads/2010/03/ales21.jpg?w=455)




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