Une nouvelle approche du développement
30 janvier 2011 at 5:54 Laisser un commentaire
L’Interview paru le 25 janvier 2010 dans l’Humanité
Pour le député européen honoraire (GUE-GVN) au Parlement de Strasbourg, la Tunisie aura besoin d’une «véritable solidarité sur le fond et dans la durée».
En marquant le début de la présidence française du G20, Nicolas Sarkozy n’a pas annoncé d’infléchissement de la politique française à l’égard de la Tunisie. Une erreur, selon vous ?
Francis Wurtz. Comme tous les dirigeants occidentaux, il est évidemment très mal à l’aise, pris au dépourvu par la révolution tunisienne. Le fond de l’affaire, c’est que les relations, aussi bien entre la Tunisie et la France que plus généralement entre l’UE et la Tunisie, reposent fondamentalement sur un accord de libre-échange. Et autant dire un accord entre le pot de fer et le pot de terre, qui contribue à une relation très précaire, avec des conditions offertes aux « investisseurs » de bas salaires, de docilité, pour des délocalisations d’emplois peu qualifiés qui sont en opposition complète avec les attentes et les exigences du peuple tunisien.
Craignez-vous qu’on ne leur «vole» leur révolution ?
Francis Wurtz. Il faut rester vigilant car il y a un risque de bras de fer, de menace, voire de chantage de la part des dirigeants occidentaux et des dirigeants économiques dans la prochaine période, quand l’attention internationale sera retombée. Il faudra faire vivre une véritable solidarité sur le fond et dans la durée, car ce que les Tunisiens sont en train d’exiger, c’est la promotion des capacités humaines, l’éducation, la formation, la recherche. Ce sont des vrais emplois pour tous, alors qu’il y a un chômage et une précarité massifs. Ils réclament des services publics, une économie du développement et, évidemment, la démocratie. Toutes choses qui sont à contre-courant du type structurel de relation établie dans le cadre de ce que l’on appelle le partenariat euroméditerranéen. Partenariat dans lequel la France joue un rôle central. Il faut non pas une simple adaptation du langage mais des changements structurels.
De quelle nature ?
Francis Wurtz. Une nouvelle approche du développement, ce que, par exemple, Paul Sindic, dans son ouvrage sur les Urgences planétaires, appelle un « développement humain durable ». C’est-à-dire la promotion des capacités humaines, la défense de l’environnement, la régulation des échanges, des financements les moins dépendants possible des marchés financiers… Il faut, par exemple, reconnaître à ces pays du sud de la Méditerranée un « droit à la protection », comme cela fut le cas pour d’autres pays qui sont devenus depuis des pays émergents. C’est-à-dire qu’une part notable de leur marché intérieur puisse être réservée aux productions nationales, afin de pouvoir se développer sans être immédiatement déstructuré par la concurrence du Nord. Il faudrait en outre assurer à ces pays une garantie d’accès à une part limitée, mais réelle, du marché des pays développés, parce qu’ils ont besoin de devises pour leur développement. Et puis il faut une aide publique au développement rénovée, entièrement axée sur la réponse aux besoins populaires, et transparente, contrôlée. Plus généralement, se repose la question des financements qui échappent à la domination des marchés financiers. Ce qui rejoint une idée que nous développons souvent, y compris pour les besoins de pays européens, d’une monnaie commune mondiale, à partir des droits de tirage spéciaux aujourd’hui inutilisés par le FMI.
La relance de l’Union pour la Méditerranée par Sarkozy répond-elle au moins partiellement à ces besoins ?
Francis Wurtz. Au moment où elle a été proposée par Nicolas Sarkozy sur la base d’un constat indéniable qui était l’impasse du processus de Barcelone, lancé en 1995, nous avons dénoncé le fait que les mêmes fondements pervers étaient repris : maintien du libre-échange d’abord, mise en concurrence des peuples des deux rives, discriminations et chasse aux migrants ensuite, ce qui est à l’opposé de la logique de coopération euroméditerranéenne. Enfin, la question du Proche-Orient est éludée, alors qu’elle est très structurante pour l’ensemble des peuples arabes. À partir du moment où l’UE reste inerte sur le plan politique et accorde l’impunité aux dirigeants israéliens en matière d’occupation de la Palestine, elle n’est pas crédible aux yeux des peuples du Maghreb. Le nouveau cours auquel aspirent les Tunisiens ne passe donc pas par une nouvelle étape dite « avancée » de ce type de relation. Il y a réellement une situation exceptionnelle où un peuple rebat les cartes, exige une réorientation profonde de la politique menée jusqu’ici. Chacun pourra montrer s’il se situe effectivement à l’écoute des peuples, et cela en acceptant des ruptures nettes avec le modèle de relation actuellement en œuvre.
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