Posts filed under ‘Franciswurtz.net’
L’EMBALLEMENT GUERRIER : « PAS EN NOTRE NOM ! »
Dans sa récente allocution, Emmanuel Macron a délibérément dramatisé la situation sécuritaire -non pas de l’Ukraine où le sort imposé au peuple par l’agresseur russe est effectivement effroyable- mais de la France. C’est « la France » que la Russie menacerait et c’est notre « patrie » qui nous appelle à l’aide ! Et pour longtemps, puisque c’est toute « notre génération » qui ne connaîtrait plus de réduction des dépenses d’armements telle que celle qu’avait permise la fin de la guerre froide. Jusqu’ici, nous aurions été « innocents », c’est-à-dire naïfs, pour n’avoir pas vu que les 413 milliards d’euros (!) de la loi de programmation militaire française pour la période 2024-2030 n’était qu’une broutille face à ce que la très droitière Présidente de la Commission européenne appelle « un danger clair et immédiat qu’aucun d’entre nous n’a connu dans sa vie d’adulte » ! Heureusement que le Père de la Nation, « Chef des armées » est là pour nous protéger, nous et « nos alliés du continent européen » grâce à nos 290 têtes nucléaires, que lui et lui seul -précise-t-il pour nous rassurer !- peut décider de lancer sur les populations du pays ennemi ! Énorme !
Pourquoi une telle manipulation de l’opinion ? Pour lui faire accepter une nouvelle et dangereuse course aux armements (que même une éventuelle défense européenne hors OTAN ne nécessite nullement) ! Ne nous laissons pas entraîner dans ce piège aux conséquences imprévisibles ! Concentrons-nous sur deux impératifs : d’abord, aider l’Ukraine à défendre ses droits légitimes autrement qu’en prolongeant une guerre désastreuse, dont chacun convient qu’elle ne permettra pas de reconquérir les territoires scandaleusement annexés par la Russie. Et, parallèlement, travailler à créer les conditions de la reconstruction d’une architecture de sécurité du continent européen incluant nécessairement la Russie : un objectif aujourd’hui difficile à réaliser, mais plus indispensable que jamais !
Restons dans l’immédiat sur l’urgence absolue : aider l’Ukraine, c’est agir sans tergiverser pour un cessez-le-feu réciproque suivi de pourparlers de paix. Rappelons que négocier avec Poutine ne veut pas dire entériner ses annexions. Rares sont les Etats qui reconnaîtront ces faits accomplis, totalement contraires au droit international. Ce dont il s’agit, pour l’heure, c’est d’arrêter les massacres et de prévenir toute récidive. À cette fin, les négociations devraient être ouvertes, outre les belligérants, aux pays européens et aux Etats-Unis, très impliqués dans le conflit, mais aussi aux pays du « Sud global » (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud…) qui, à la fois proches de Moscou et opposés à cette guerre, pourront -pour cette raison- constituer le moyen de pression le plus efficace sur la Russie et, par là-même, la meilleure garantie de sécurité pour les Ukrainiens. Rappelons que le premier article du plan de paix proposé par Pékin (dès février 2023 !) stipulait : « La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties ». Les dirigeants occidentaux ont, deux ans durant, préféré ignorer ces offres de médiation pour privilégier l’option d’une « victoire » militaire. Il est intéressant de se reporter au discours tenu dans la même période (février 2023) par Emmanuel Macron (1) . Le Chef de l’Etat y détaillait la contribution de la France à l’effort de guerre, en soulignant : « Ça, c’est la stratégie assumée dès les premiers jours du conflit (…) et c’est ce que nous allons continuer et renforcer (…) Nous sommes prêts à un conflit prolongé ». Est-ce la difficulté d’ « assumer » aujourd’hui ce choix désastreux qui pousse le Président français et ses alliés européens à leur emballement guerrier ? Répondons-leur en toute clarté : « pas en notre nom ! »
———-
(1) 59ème Conférence de Munich sur la sécurité (17/2/2023)
MACRON ET LA « SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE
« Il y a des mots qui font vivre… » écrivit Paul Eluard. Bien compris, le mot « souveraineté » est de ceux-là. Le droit de chaque peuple de choisir son destin est imprescriptible. Naturellement, la liberté de choix ne peut faire abstraction du contexte historique dans lequel elle s’exerce. Dans le monde où nous vivons, la croissance des interdépendances appellent de plus en plus de co-responsabilité entre partenaires dans un cadre multilatéral. Tout le monde a à l’esprit les négociations et les compromis permanents qu’implique l’imbrication des économies. Ou les coopérations qu’appelle une maîtrise démocratique de la révolution numérique. D’une façon générale, il est indéniable que les enjeux communs à toute l’humanité sont, de nos jours, légion : de la coordination de la lutte contre le réchauffement climatique à la gestion humaine de la mobilité -choisie ou forcée- des personnes, en passant par la prévention des conflits et la coopération au développement. Souveraineté populaire et solidarité planétaire doivent, aujourd’hui, se conjuguer.
Comment articuler ces deux exigences potentiellement conflictuelles ? Il faut ouvrir un vrai débat citoyen à ce sujet, sans en éluder la complexité. Certains grands esprits préfèrent jouer sur les mots plutôt que d’affronter d’éventuelles contradictions. C’est le cas d’Emmanuel Macron. Il pense régler le problème en transposant l’idée de souveraineté au niveau européen. Problème : une « souveraineté européenne » est-elle vraiment possible ? Elle ne pourrait, en tout état de cause, remplacer la souveraineté de chaque peuple de l’UE : il n’existe pas, pour l’heure, UN « peuple européen », mais DES peuples européens, au demeurant d’une grande diversité. En outre, cette formulation présuppose que les pays membres et les peuples de l’UE sont unis par une profonde solidarité et une vision commune des enjeux mondiaux -ce qui est, par les temps qui courent, une hypothèse plutôt hasardeuse !
Mais surtout : qu’entend, au juste, le Président français par « souveraineté européenne » ? Le premier domaine concerné est, à ses yeux, la défense européenne, « très profondément complémentaire de l’OTAN »…et incluant la Grande-Bretagne. Deuxième dimension de cette souveraineté européenne : « être mieux capable de protéger nos frontières ». Contre quel ennemi ? Face à « la crise migratoire inédite (que) l’Europe vit depuis 2015″. Jusque là, c’est « du Macron pur jus ». Le troisième domaine cité mérite, en revanche, discussion. C’est « la souveraineté industrielle et climatique (ainsi que) technologique ». Que ce serait bien, en effet, si les grandes entreprises de nos pays coopéraient au lieu de se faire la guerre, si le crédit allait aux coproductions européennes et aux efforts communs pour la transition écologique et non aux opérations financières, si l’Europe se donnait les moyens de se passer des GAFAM, si la création d’emplois en Europe était privilégiée sur la course au profit sur les
grands marchés juteux du monde ! Avec des « si »…Le rêve de Macron est plus prosaïque : il veut une Europe qui favorise « les champions au niveau d’un marché mondial ». La souveraineté, c’est autre chose.
LE COÛT HUMAIN ET ÉCOLOGIQUE DE LA COURSE AU PROFIT
Il y a des coïncidences parlantes : le 6 mai dernier s’est ouvert le procès « France Télécom » qui doit juger une entreprise du CAC 40 et sept de ses anciens dirigeants pour « harcèlement moral » ayant poussé à bout nombre de salariés jusqu’à conduire à une consternante vague de suicides ; le même jour, le Sommet mondial de la biodiversité lançait, depuis Paris, son appel solennel à éviter la première extinction de masse des espèces causée par les humains ! Qu’est-ce qui rapproche ces deux événements ? La course au profit à n’importe quel prix ! Dans le premier cas, l’ancien patron, Didier Lombard, a notamment évoqué « l’agressivité de la concurrence » pour justifier les « transformations pas agréables imposées à l’entreprise », au prix d’une déstabilisation organisée des salariés destinée à pousser 22 000 personnes vers la sortie… »d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », selon l’élégante formule du PDG en 2007. « Management par la terreur » écrira un technicien avant de se donner la mort ! L’enjeu du « crash programme » de l’ex-direction ? Confirmer la pleine réussite de la privatisation de l’ex-service public en dégageant « sept milliards de cash flow », selon le directeur dit « des ressources humaines » ! Insoutenable.
La même logique prédatrice et irresponsable conduit à ce que « la santé des écosystèmes dont nous dépendons (…) se dégrade plus vite que jamais » car « nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier », selon l’avertissement du président du « GIEC de la biodiversité », Robert Watson. Agriculture intensive et agro-business ; sur-pêche; déforestation massive; marchandisation du vivant; croissance non soutenable; pollutions non contrôlées… sont autant de pratiques relevant de différentes formes de « néolibéralisation de la nature ».
Et l’Europe dans tout cela ? La tragédie de France Télécom a directement à voir avec le grand virage libéral de « l’économie de marché ouverte où la concurrence est libre » engagé dans les années 90. En matière de biodiversité, la réalité européenne est plus contradictoire : l’Union européenne dispose d’une politique en ce domaine depuis plusieurs décennies, le problème réside dans le manque de volonté des Etats membres d’aller au bout de l’ambition affichée, précisément parce que celle-ci se heurte à la logique néolibérale en vigueur. En 2011, elle a adopté une nouvelle stratégie sur 10 ans pour la préservation de la biodiversité, conformément aux engagements pris lors de la Convention internationale de Nagoya (Japon) (1). Problème -illustré spectaculairement par l’affaire du glyphosate où la Commission a épousé les thèses de Monsanto contre l’avis de l’Organisation mondiale de la santé !- : la politique européenne en matière de biodiversité « constitue un exemple classique de politique qui ne tient pas ses promesses (…) bien qu’elle ait parfaitement cerné les problèmes ». (2)Pour le social comme pour l’écologie, la rupture avec la logique libérale est la condition du changement.
——-
(1) Voir Chronique de F. WURTZ (Humanité-Dimanche du 4/11/2011)
(2) CESE (septembre 2016)




Commentaires récents