La face la plus noire de Schengen
13 mai 2011 at 12:46 Laisser un commentaire
Le 6 janvier 1941, le Président des Etats-Unis, Franklin Roosevelt, prononça le célèbre discours dit « des quatre libertés »: la liberté d’expression, de religion, de vivre à l’abri du besoin, ainsi qu’à l’abri de la peur. Les « pères de l’Europe », quinze ans plus tard, ont tenu à placer eux aussi leur œuvre sous l’égide de « quatre libertés fondamentales », mais plus prosaïques que les précédentes: la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes sur le marché européen.
La première de ces libertés à avoir été intégralement
réalisée fut celle accordée aux marchandises de circuler sans
entraves. La généralisation de la libre circulation des capitaux
intervint en 1990. Puis vint le tour des services. A partir de 2004,
aux yeux des dirigeants européens, l’adhésion à l’UE d’un grand nombre
de pays à bas salaires rendit plus cruciale et plus urgente la
suppression de tous les obstacles à la possibilité effective de tout
prestataire de services -notamment de ces pays- d’exercer son activité
dans n’importe quel autre Etat membre …en y appliquant les règles
« du pays d’origine ». La directive Bolkestein fut conçue à cet effet.
Cela étant, le principe de la libre prestation des services tout comme
celui de la liberté d’établissement des prestataires de services
étaient clairement reconnu dès 1957.
Il faudra, en revanche, attendre 1995 pour qu’entre en
vigueur la convention d’application des accords de Schengen et 1999
pour que soit intégrée aux traités européens la liberté des personnes
de circuler dans un espace sans frontières composé de 22 pays de
l’UE et de 3 pays associés: l’Islande, la Norvège et la Suisse (la
Grande Bretagne et Irlande ont obtenu le droit de conserver leurs
frontières. La Roumanie, la Bulgarie et Chypre attendent que le
Conseil européen les juge aptes à ouvrir les leurs.) Enfin, un beau
symbole dira-t-on? Oui, mais la médaille a un revers…
Certes, nul ne conteste la légitimité, pour les Etats qui
ont aboli leurs frontières intérieures, d’une surveillance des
frontières extérieures du nouvel espace commun, ni même de l’existence
d’une clause de sauvegarde permettant, dans des cas extrêmes, de
rétablir ponctuellement, des contrôles à l’entrée de leur territoire.
Mais les tendances à l’œuvre – dont le couple Sarkozy – Berlusconi est
un protagoniste zélé – sont d’une tout autre nature. Il s’agit de
détricoter maille par maille un acquis démocratique, en ne conservant
de « Schengen » que sa face noire, hyper-sécuritaire et attentatoire aux
libertés. Ainsi, le système d’information Schengen (SIS) qui stocke
dix millions de données concernant un million et demi de personnes
dans une opacité totale va-t-il être encore renforcé. En outre,
l’Agence Frontex, véritable bras armé de Schengen, auquel les Etats
membres délèguent des moyens colossaux (des dizaines d’hélicoptères,
d’avions, de navires et des centaines de radars, de caméras
thermiques, de détecteurs de battements de cœur, ainsi que des
patrouilles de gardes- frontières et autres « groupes d’intervention
rapide ») pour traquer et refouler les migrants dont 4200 ont payé de
leur vie, depuis 2003,leur recherche éperdue d’un havre de paix et
d’une vie meilleure doit, elle aussi, être encore promue. Ayant perdu
leurs fidèles auxiliaires – de Ben Ali à Kadhafi – qui assuraient
jusqu’il y a peu l’externalisation des contrôles au mépris des droits
fondamentaux, ils choisissent la fuite en avant et entraînent l’Europe
dans une aventure démagogique et xénophobe. Ne tombons pas dans leur
piège!
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